Il
est 13 h 02, un jeudi de janvier pluvieux comme tant d’autres.
Jean-Louis, sexagénaire dégarni, calfeutré à l’instar de millions de
Français, décide de prendre sa dose de sinistrose quotidienne. Il allume
son poste de télévision et parcourt les programmes de diverses chaînes,
avant de s’arrêter sur un journal d’information en continu. Les
nouvelles ne sont pas bonnes, des usines ayant bénéficié d’aides
publiques ferment pour mieux rouvrir ailleurs, des raves parties
sauvages sont organisées partout en France au nez et à la barbe des
autorités, pourtant informées… Après une quatrième page de publicité en
vingt minutes, Jean-Louis, atterré, apprend que 95 % des arrêtés
d’expulsion prononcés ne sont jamais exécutés. Lui qui dans sa jeunesse a
connu un pays bien différent ne sait plus où il habite. Traité pour
hypertension, il préfère en rester là et appuie sur la télécommande. Il
faut dire qu’il a mal dormi, la faute aux rodéos en moto qui ont lieu
tous les jours en bas de chez lui et pour lesquels la police ne se
déplace plus depuis longtemps. Alors même que les citoyens lambda sont
soumis depuis des mois à d’innombrables restrictions et qu’on n’a de
cesse de répéter qu’il faut empêcher la constitution de clusters, il observe les « jeunes » se rassembler en bas de son HLM et fumer leurs pétards, en toute impunité.
Cet
énième renoncement, ce refus d’appliquer la loi et de faire respecter
l’ordre public, est tout sauf neutre. Pour paraphraser Clouscard,
l’anodin est révélateur de l’essentiel. Ces exemples en disent long sur
l’état de délabrement de nos institutions : ici la force régalienne,
pourtant détentrice du monopole de la violence légitime, qui apparaît
comme purement et simplement absente.
D’où vient cette impuissance ?
La
pensée soixante-huitarde, nihiliste et individualiste, qui a fait du
jeunisme un credo et de la contestation des institutions, un nouveau
conformisme chez une partie des élites, y est pour beaucoup. Zweig, dans
Le monde d’hier, nous narre ses efforts pour paraître plus
âgé, à une époque où on écoutait davantage les aînés. Aujourd’hui, c’est
tout le contraire. On reproche même aux anciens, de façon puérile et
assez absurde, leurs agissements passés (contre l’environnement, contre
l’égalité…). Le passé n’est plus perçu que comme un temps arriéré et
dépassé dont rien de positif ne devrait être conservé.
Cette
valorisation démagogique des « jeunes », le refus des adultes d’accepter
leurs responsabilités, d’exercer leur autorité, d’endosser le mauvais
rôle et de réprimer les comportements et les actes qui devraient l’être,
a eu des répercussions considérables sur toutes les institutions
supposées jouer un rôle social comme la police, l’école ou la justice.
La
crise du covid a par ailleurs révélé au grand jour une faillite d’une
autre nature, affectant différents piliers de notre État. L’hôpital
public, probablement le meilleur au monde il y a encore trente ans,
asphyxié par la vision comptable des managers et l’obsession de
réduction des budgets, n’a pas pu répondre présent. Nos dirigeants ont
donc préféré nous enfermer chez nous.
Un point apparaît assez toutefois surprenant : la classe politique dans son ensemble a critiqué ces déficiences.
La
situation actuelle résulte pourtant d’une succession de choix
politiques initiés il y a plus de trente ans. Le peuple français, par
l’action de ses gouvernements, a considérablement affaibli l’État et
réduit au strict minimum l’appareil productif, remettant ainsi une part
de son destin entre des mains étrangères. L’impuissance a donc été en
quelque sorte organisée par le haut (ouverture totale des frontières,
transferts de compétences à l’Union européenne, rôle croissant des
juges…) et par le bas (décentralisation, diminution drastique des
investissements et importance accrue des médias dans les orientations
politiques…).
D’aucuns (du gourou de La France insoumise aux
caciques des Républicains), ayant pourtant pris part à ses décisions,
feignent de le découvrir et se plaignent des retards dans la
vaccination, des difficultés du système médico-social, de notre
dépendance de l’étranger pour les médicaments, etc. On pense à Bossuet
(« Dieu se rit des hommes qui chérissent les causes dont ils déplorent
les effets ») et on se dit que le prétendu « Nouveau monde » n’est que
l’ancien avec quelques tartuffes, plus d’anglicismes et un personnel
politique chez qui la communication a supplanté l’action.
Où est donc le pouvoir ?
L’État,
même diminué, œuvre toujours. Il suffit de voir le poids des dépenses
sociales, antidépresseurs pour classes populaires à la dérive et
stimulants pour les immigrés du monde entier, pour le constater. De
même, les bases napoléoniennes demeurent solides, et la haute
administration publique reste d’une compétence rare. À défaut de pouvoir
nous protéger contre le virus, le chômage de masse et une immigration
indésirée, le gouvernement a toujours les moyens de nous entraver. Il
peut nous confiner, multiplier les arrêtés, imposer un couvre-feu,
instiller la peur. Cette peur, qu’il tente de nous inoculer, semble
également motiver son action. Trivialement, le désordre ambiant invite à
penser que les gouvernants, politiques et administratifs, cherchent
avant tout à se couvrir, paralysés par une vindicte médiatique
permanente et inquiets à l’idée des procès qu’on ne manquera pas de leur
intenter…
On fait donc diversion, on a recours aux experts, aux
comités consultatifs divers et variés, et on multiplie les gri-gris,
comme le panel « citoyen » pour le contrôle des vaccins, artifices
désolants d’un pouvoir immature qui refuse d’assumer ses responsabilités
et en vient à oublier les fondements du contrat qui nous unit. Nous
n’avons renoncé à une part de notre liberté, renoncement aujourd’hui
plus patent que jamais, que pour autant que l’État assure notre
sécurité.
Hors temps de crise, il ne manquait pas de gens pour se
réjouir de cet affaiblissement de l’État, de son désengagement de la vie
économique, et de sa transformation en un immense guichet de
prestations sociales. Patrons, classes moyennes supérieures et autres
catégories sociales favorisées, y ont trouvé leur compte, à court terme.
La
conjoncture marque le retour d’un interventionnisme, certes désorganisé
et sans stratégie, mais réel, de l’État. La planche à billets tourne,
l’argent pleut. Alors qu’hier, il était impensable de voir des budgets
augmenter, aujourd’hui tout apparaît possible.
L’État, c’est nous !
Cette
crise pourrait être une opportunité, l’occasion pour les citoyens de se
souvenir de l’importance de l’État et la nécessité de le renforcer. La
France est un pays à part, essentiellement politique, où l’État a
précédé et engendré la Nation. L’État, à travers la personne du roi,
puis différents régimes et des institutions puissantes, a unifié le pays
et un peuple aux composantes multiples. Cette construction,
artificielle, demeure précaire.
Le XXIe siècle sera
celui de tous les dangers pour la France (et l’Europe), menacée de
désintégration par une immigration de peuplement massive et la montée en
puissance de l’islam, fragilisée par un dérèglement climatique
croissant et « standardisée » par un capitalisme financier qui voudrait
en faire un marché comme un autre sans identité.
Face à de tels
périls, l’individu-roi, esseulé, adolescent et irresponsable, ne fera
pas long feu. Il faudra faire un choix. Soit la France renforcera son
État et ses institutions collectives, pour tenter de maintenir l’unité
du pays, soit elle renoncera à son histoire, laissera s’émietter la
Nation et les individus rallier des communautés (ethniques, religieuses,
voire sexuelles…) avec tous les risques que comporte une telle
balkanisation.
Pour contrer ces dangers, éviter l’anomie et la
guerre du tous contre tous, un pouvoir politique exerçant la plénitude
de ses compétences est vital. Paul Valéry affirmait en son temps que
« si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons. »
Aujourd’hui,
la classe politique, pusillanime, peine à répondre à cette impérieuse
nécessité. Un espoir reste toutefois permis : les Français, comme
Jean-Louis, notre sexagénaire exaspéré, continuent à attendre beaucoup
de leur État et aspirent à un pouvoir fort.
Quelqu’un saura-il se saisir, à temps, de cette demande ?