Benjamin Stora a donc remis un rapport sur l’aménagement des
relations France –Algérie, proposant de solder les abominations d’une
longue guerre.
Avouons donc les « corvées de bois », la torture,
deux siècles d’impitoyable diffusion des vaccinations et de lutte contre
la famine — et de coups de chicotte, soyons réalistes. Avouons que nous
avons puissamment contribué à faire sortir de terre le pétrole et le
gaz avec lesquels les militaires depuis soixante ans se remplissent les
poches — en échange d’une portion du Sahara pour y expérimenter la force
de frappe française…
Mais j’aimerais que parallèlement les
Algériens avouent les attentats aveugles qui tuaient femmes et enfants,
les mutilations opérées à vif sur des militaires français prisonniers,
les Pieds-Noirs assassinés surtout quand ils étaient sans défense, et
les 250 000 harkis (et leurs familles : les résistants de la onzième
heure du FLN se sont fait une virginité politique en tuant des
nourrissons et des femmes enceintes) qui ont été la petite monnaie des
accords d’Evian —le prix en fait de la protection, quinze ans durant,
des intérêts stratégiques français dans le sud.
Oui, j’aimerais beaucoup qu’un pays qui a fait de « harki » une injure a tous usages reconnaisse que ses pères fondateurs se sont conduits eux aussi comme des enfants de salauds.
En 2002, j’ai co-écrit avec mon ami Boussad Azni dont je salue la mémoire, un natif de Tizi-Ouzou expatrié avec tant d’autres dans l’un de ces merveilleux camps de vacances où les autorités françaises ont concentré, deux décennies durant, des gens qui n’avaient rien fait d’autre que défendre les intérêts de la nation, un livre rassemblant les dizaines de milliers de témoignages des massacres opérés par des « résistants » vaincus la veille, à qui l’on a offert à Evian une victoire dont ils désespéraient. Un déluge d’horreurs. Les harkis ont vainement plaidé le crime contre l’humanité — mais qui écoute les vaincus ?
De même, il faudra ici réévaluer l’action de militants bien intentionnés qui ont fait passer des armes en Algérie — des armes qui ont tué des Français par milliers. Ce ne furent pas des héros, mais des traîtres.
Si l’Algérie et les Algériens veulent
effectivement normaliser les relations avec la France, qu’ils fassent le
ménage dans leur mémoire officielle, grattent la couche de vernis qui
occulte les monstruosités, et comprennent que cette guerre fut sale à
tous les niveaux — comme toutes les guerres. Qu’il n’y a pas de
vainqueurs — juste des vaincus, dans les deux camps. Parce que les
terroristes vainqueurs ont admirablement bousillé un pays qui avait été
mis en valeur, agricolement mais aussi humainement : combien d’élites
algériennes formées en France avant même l’indépendance — combien de
présidents hospitalisés en France ?
Et sans même un « merci », comme
si tout leur était dû… Tout comme actuellement ils se moquent des
Chinois qui s’y implantent, parce qu’ils travaillent — quelle bonne
blague…
Il n’y a pas de mémoire à sens unique. Les guerres sont
toujours à torts partagés. Il faudrait déjà le reconnaître. J’aimerais
assez que les Algériens réécrivent les manuels d’Histoire en usage
là-bas — les nôtres sont déjà tout imbibés de repentance ex-coloniale.
Puis alors ils pourront promulguer des lois donnant aux femmes les mêmes
droits qu’aux hommes — y compris le droit de ne pas être importunées
par des fanatiques religieux. J’y suis allé en 1970, c’est un magnifique
pays, j’ai sur ma peau la nostalgie des plages de Bougie (ou Bidjaia,
comme vous voulez) ou Tichy et des rencontres que l’on pouvait y faire…
Et sur la langue le souvenir des confitures de roses de Blida.
Mais
c’est un pays arqué dans un absolutisme de la mémoire reconstruite, et
qui a cessé de participer à la modernité. Si tant d’Algériens sont venus
en France, c’était pour y travailler, certes, mais peut-être avant tout
pour fuir un pays qui avait tant promis et qui n’a rien tenu.
Alors, tous les rapports n’y feront rien : les peuples doivent se ressaisir de leur mémoire, effacer les discours pompeux et pontifiants de ceux qui exploitent le passé à leur strict avantage, et accueillir les harkis ou les Pieds-Noirs qui désireraient revisiter leurs villes ravagées et leurs cimetières désacralisés. Mais quand ce sont les révisionnistes et les vandales qui exigent que nous fassions tout le chemin…
Jean-Paul Brighelli
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