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mercredi 19 décembre 2018
La constitution volée
Par Michel Onfray :
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Quelle que soit son issue, le mouvement des gilets-jaunes aura au moins eu un mérite: mettre à nu les rouages de ce régime corrompu jusqu’à la moelle depuis que les politiciens de tous bords, "gaullistes" compris, ont décidé de déconstruire ce qui fut le contrat social de la Cinquième République. A force de modifications, de changements, d'altérations, de rectifications, de retouches, ni l'esprit ni la lettre de cette constitution ne sont plus respectés. Nous vivons depuis des années avec une règle du jeu édictée par des faussaires ayant pour nom: Mitterrand et Chirac, Sarkozy et Hollande.
Les logiciens connaissent bien l'argument du bateau de Thésée rapporté par Plutarque: pendant des siècles, on a gardé respectueusement la barque de Thésée, qui avait combattu le Minotaure. Régulièrement, les Athéniens changeaient les planches qui s'abîmaient. Un jour, il n'y eut plus une seule planche d'origine. Certains dirent alors que ça n'était plus son bateau; d'autres affirmaient au contraire que si; pendant que d'autres encore débattaient pour savoir avec quelle planche, la première rajoutée, la dernière enlevée, ou bien celle après laquelle les planches d'origine ont cessé d'être majoritaires, le bateau de Thésée n'a plus été le bateau de Thésée.
Vingt-quatre lois ont modifié la constitution de 1958 jusqu'à ce jour! Sur les 92 articles de départ, il n'en reste plus que 30 d'origine! Elle est donc morte depuis longtemps... On fait semblant de la révérer, or elle est piétinée régulièrement par la classe politique dans l'intérêt de ses opérations de basse police, droite et gauche confondues. Qui peut bien imaginer que la cohabitation et le quinquennat puissent relever de l'esprit gaullien? Qu'un référendum perdu puisse être purement et simplement annulé par la coalition des politiciens maastrichtiens de droite et de gauche? Qui?
Depuis Maastricht, les révisions qui concernent l'Europe vont dans le sens d'une destruction de la nation française au profit de l'État maastrichtien -Traité de Maastricht en 1992, Traité de Lisbonne en 2008. Cette constitution de 1958 est morte: elle est devenue un chiffon de papier, un torchon, une serpillère. Merci Mitterrand, merci Chirac, merci Sarkozy, merci Hollande -et merci Macron qui est un mixte des vices de tous ceux-là: cynisme, démagogie, vulgarité et incompétence...
Les Français en général, et les gilets-jaunes en particulier ont bien compris que, depuis plusieurs décennies, leur constitution leur avait été volée. De Gaulle avait voulu l'élection du président de la République au suffrage universel direct à deux tours; un septennat avec des législatives à mi-mandat, ce qui permettait au chef de l'État de savoir où il en était avec le peuple et où le peuple en était avec lui: en cas de perte de la majorité à l'Assemblée nationale, le Président démissionnait, c'était la sanction du peuple; il pouvait alors se représenter et être réélu, ou pas; le référendum permettait au peuple de donner son avis sur des questions de société majeures: une fois l'avis donné, on le respectait. Quand de Gaulle a perdu le référendum sur la régionalisation, il n'a pas nié le résultat, il n'a pas fait voter les députés pour l'annuler, il n'en a pas fait un second, il n'a pas fait le contraire de ce qu’avait décidé le peuple: il lui a obéi et a quitté le pouvoir. Il y avait dans la lettre, mais aussi et surtout dans l'esprit de cette constitution, un lien entre le peuple et son souverain qui était alors son obligé.
Aujourd’hui, c'est l'inverse: c'est le peuple qui est l'obligé de son président élu après que la propagande eut fait le nécessaire, c'est à dire des tonnes, pour installer l'un des voyageurs de commerce de l'État maastrichtien -depuis Mitterrand 1983, ils le sont tous... Le vote ne s'effectue plus de manière sereine et républicaine, libre et autonome, mais de façon faussée et binaire avec d'un côté le bien maastrichtien et de l'autre le mal souverainiste -la plupart du temps assimilé au fascisme. Cette caricature est massivement vendue par la propagande médiatique d'État ou de la presse subventionnée par lui. L'élection législative perdue n'induit plus la démission, mais la cohabitation; le référendum perdu ne génère plus l'abdication, mais sa négation. Quand le peuple dit au Président qu'il n'en veut plus, le Président reste... Et quand il part à la fin de son mandat, certes, on change de tête, mais la politique menée reste la même.
Tout le monde a bien compris depuis des années que les institutions françaises sont pourries, vermoules, comme une charpente minée par les termites et la mérule: il s'en faut de peu que la maison s'effondre d'un seul coup, avec juste un léger coup de vent. Les gilets-jaunes sont, pour l'heure, un léger coup de vent...
De même, tout le monde a bien compris que la représentation nationale n'est pas représentative: la sociologie des élus, députés et sénateurs, ne correspond pas du tout à la sociologie de la France. Il suffit de consulter la biographie des mandaté : ceux qui sont sur les ronds-points avec leurs gilets jaunes ne risquent pas d'avoir des collègues au Palais Bourbon ou au Palais du Luxembourg! Où sont les paysans et les ouvriers, les artisans et les commerçants, les marins pécheurs et les employés, les balayeurs et les veilleurs de nuit, les chauffeurs de taxi et les ambulanciers dans ces deux chambres? Nulle part... Les ouvriers représentent la moitié de la population active: il n'y en a aucun au Palais Bourbon -le PCF qui ne fonctionne qu'avec des permanents devrait s'interroger sur ce chiffre pour comprendre les raisons de sa crise... En revanche, on y trouve pas mal d'enseignants et de professions libérales, de notaires et d'avocats, des journalistes aussi. Les cadres et professions intellectuelles représentent 76 % des élus: c'est quatre fois et demie plus que leur part dans la population active. L'observatoire des inégalités a publié un texte intitulé "L'Assemblée nationale ne compte quasi plus de représentants de milieux populaires" (29 novembre 2018) qui détaille cette évidence: le peuple n'est plus à l'Assemblée nationale. Pour parler le langage de Bourdieu, on n'y trouve aucun dominé mais plus que des dominants. Dans les gilets-jaunes, c'est très exactement l'inverse: pas de dominants que des dominés!
Si la sociologie des élus est à ce point peu populaire on comprend qu'elle soit devenue antipopulaire. Il n'est pas besoin d'aller chercher très loin les raisons du vote négatif du peuple au référendum sur le Traité européen ni celles qui ont fait des élus les fossoyeurs de ce même vote populaire. La démocratie directe a dit: non. La démocratie indirecte lui a dit: bien sûr que si, ce sera tout de même oui. Je date du Traité de Lisbonne ce clair divorce du peuple d'avec ses prétendus représentants.
Qui peut croire que ces assemblées qui ne représentent déjà pas le peuple dans sa totalité puissent être crédibles quand chacun peut constater que le parti de Mélenchon, qui arrive quatrième au premier tour des élections présidentielles et n'est pas présent au second, dispose de dix-sept députés, pendant que celui de Marine Le Pen qui arrive deuxième et qui se trouve qualifiée au second tour, n'en a que huit? Quelle étrange machinerie politique permet à celui qui arrive quatrième d'avoir plus du double d'élus que celui qui arrive deuxième? Sûrement pas une machine démocratique...
Pas besoin d'être polytechnicien pour comprendre que le mode de recrutement des élus est partidaire et non populaire; les découpages électoraux et les logiques du code électoral sélectionnent des professionnels de la politique affiliés à des partis qui les mandatent et non des citoyens de base qui ne peuvent gagner sans le soutien d'un parti; une fois au chaud dans les institutions, les élus font de la figuration dans un système qui évince le peuple et sélectionne une caste qui se partage le gâteau en faisant des moulinets médiatiques afin de laisser croire qu'ils s'écharpent et ne pensent pas la même chose, or sur l'essentiel, ils sont d'accord: ils ne remettent pas en cause la règle du jeu qui les a placés là; au bout du compte, ceux qui gagnent sont toujours les défenseurs de l'État maastrichtien. Les gilets-jaunes savent que le code électoral, associé au découpage électoral opéré par le ministère de l'Intérieur avec l'Élysée, génère un régime illibéral -pour utiliser et retourner une épithète abondamment utilisée par les maastrichtiens pour salir les régimes qui ne les aiment pas donc qu’ils n'aiment pas. Ce régime est illibéral parce qu’il gouverne sans les gens modestes, sans les pauvres, sans les démunis, sans les plus précaires, sans eux et malgré eux, voire contre eux. Sans ceux qui, aujourd’hui, portent le gilet jaune.
C'est donc fort de ce savoir acquis par l'expérience que le peuple des gilets-jaunes ne veut plus rien entendre des partis, des syndicats, des élus, des corps intermédiaires, des députés ou des sénateurs, du chef de l'État et de ses ministres, des élus de la majorité ou de ceux de l'opposition, mais aussi des journalistes qui, de la rubrique locale à l'éditorial du journal national, font partie de tous ces gens qui ont mis la France dans cet état et ce peuple dans cette souffrance. La démocratie indirecte, le système représentatif, le cirque des élections: ils n'y croient plus. Qui pourrait leur donner tort?
Voilà pour quelles raisons quelques gilets-jaunes proposent aujourd’hui le RIC -le référendum d'initiative citoyenne. Les journalistes qui estiment que les gilets-jaunes ne pensent pas, que leur mouvement c'est tout et n'importe quoi, qu'ils disent une chose et son contraire, qu'ils ne sont que dans la colère ou le ressentiment, de vilaines passions tristes que tel ou tel éditorialiste condamne dans son fauteuil de nanti, qu’ils sont des anarchistes ou des casseurs, qu'ils ne proposent jamais rien, ces journalistes, donc, sont bien obligés, en face de cette proposition majeure, de jouer les professeurs devant une classe de primaire en expliquant que le RIC, c'est du délire.
C'est pourtant, au contraire, une pharmacopée majeure très adaptée à cette démocratie malade, sinon mourante. C'est un authentique remède de cheval qui donne la frousse aux dominants , aux corps intermédiaires, aux élus, aux rouages du système, parce qu'ils voient d'un seul coup leurs pouvoirs mis en péril alors qu'ils les croyaient acquis pour toujours! Quoi: "le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple, mais vous n'y pensez pas? Quelle idée saugrenue!". Si messieurs, justement: c'est la définition que donne le dictionnaire de la démocratie!
Qu'est-ce que ce RIC? La possibilité pour les citoyens de réunir un certain nombre de signatures qui obligent le pouvoir à examiner la question faisant l'objet du RIC, soit au parlement soit sous forme référendaire. "Impossible!" disent les éditocrates comme un seul homme. Or ils oublient que c'est possible depuis des siècles en Suisse et que c'est d'ailleurs ce qui fait de la Confédération helvétique antijacobine une démocratie bien plus sûrement que notre régime oligarchique.
A tout seigneur, tout honneur: le chevau-léger Stanislas Guerini (dans Marianne, le 17 octobre 2018 ), dont tout le monde ne sait peut-être pas encore qu’il est le patron de LREM, procède avec subtilité: Le RIC, c'est la possibilité demain de restaurer la peine de mort! Le RIC, c'est la certitude de la castration chimique pour les délinquants! Le RIC, ce pourrait même être, rendez-vous compte, il ne le dit pas, mais on voit bien qu'il le pense, la possibilité de sortir de l'État maastrichtien!
A la République en Marche, on n'aime pas le peuple, trop grossier, trop débile, trop crétin, trop pauvre, trop bête aussi... Il suffit d'écouter cette fois-ci le président du groupe LREM à l'Assemblée nationale, Gilles Legendre, qui affirme quant à lui, sans rire: "Nous avons insuffisamment expliqué ce que nous faisons. Nous nous donnons beaucoup de mal, il faut le faire mieux. Et une deuxième erreur a été faite, dont nous portons tous la responsabilité : le fait d'avoir été trop intelligent (sic), trop subtil (sic), trop technique (sic) dans les mesures de pouvoir d'achat." (Marianne, 17 décembre 2018)
On ne peut mieux dire que le ramassis d'anciens socialistes, d'anciens hollandistes, d'anciens Modem, d'anciens écologistes, d'anciens LR, d'anciens EELV, d'anciens juppéistes, d'anciens sarkozystes, enfin d'anciens anciens qui constituent la modernité révolutionnaire dégagiste de LREM, méprise clairement le peuple jugé trop débile pour comprendre que l'augmentation des taxes sur l'essence, sous prétexte de transition écologique, est un impôt prélevé sur les pauvres sans qu’ils puissent y échapper, puisqu'ils sont contraints de remplir le réservoir de leurs voitures pour travailler.
Certes, Gilles Legendre est un intellectuel haut de gamme, puisqu’il dispose d'une triple casquette: journaliste, économiste, homme politique, ce qui, avouons-le, constitue trois titres de gloire dans l'État maastrichtien en général et, en particulier, dans la France, l'une de ses provinces depuis 1992. Lui qui a été élève à Neuilly, est diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, puis du Centre de formation des journalistes de Paris, qui a travaillé à Europe 1, au Nouvel Économiste, à L'Expansion, à Challenges, à L'Événement du jeudi de JFK aussi, qui accumule les jetons dans les conseils d'administration, comme la FNAC, qui a créé une boite de consulting, cet homme, donc, est aussi président d'un Observatoire de l'élection présidentielle -prière de ne pas rire... Il a été giscardien en 1974 -et n'a cessé de l'être depuis cette date...
Quelle morgue! Quelle arrogance! Quelle suffisance d'affirmer que le peuple est inculte, abruti, obtus, alors qu'il comprend très bien qu'on le tond depuis des années et qu'il ne le veut plus! En 2005, lors de la campagne contre le non au Traité européen, j'ai assisté à des réunions publiques où des gens simples et modestes qui ne sortaient pas de l'école de Neuilly, qui n'avaient pas usé leur fond de culotte à l'IEP ou au CFJ, qui n'avaient pas dirigé des journaux économiques libéraux, avaient sur les genoux ce fameux traité annoté, souligné, surligné, stabiloté: ils en avaient très bien compris les tenants et les aboutissants. A l'époque, ils ne voulaient pas être mangés à cette sauce-là. Ils ont donc massivement dit non. Des gens comme Legendre et autres giscardiens de droite et de gauche, dont les socialistes, le leur ont tout de même fait manger de force ce brouet. Mais cette fois-ci, les gilets-jaunes le disent dans la rue: ils ne veulent plus de ces gens, de leurs idées populicides, de leur monde dont Alain Minc dit qu'il est "le cercle de la raison", alors qu'il est bien plutôt le cycle de la déraison.
Avec les gilets-jaunes, je prends une leçon: ce peuple que des années de politique éducative et culturelle libérale ont essayé d’abrutir, d’hébéter, d'abêtir, de crétiniser, ce peuple abîmé par des décennies d'école déculturée, de programmes télévisés décérébrés, de productions livresques formatées, de discours propagandistes relayés de façon massive par une presse écrite, parlée, télévisée aux ordres, ce peuple gavé comme des oies à la télé-réalité et à la variété, à la religion du football et à l'opium de la Française des jeux, ce peuple-là, celui dont j'ai dit un jour qu’il était le peuple "old school" et que je l'aimais, ce peuple: il pense. Et il pense juste et droit. Bien mieux que Macron, dont il est dit qu'il fut l'assistant de Paul Ricœur, et sa cour ou ses élus godillots.
On entend peu, très peu, pour ne pas dire pas du tout, le peuple "new school" jadis célébré par Terra Nova. Quand il parle, c'est plutôt d'ailleurs pour dire son soutien, donc sa collusion, avec les gens du système honni par les gilets-jaunes -voyez l'emblématique Mathieu Kassovitz qui tweete: "le peuple qui se bat pour protéger son confort je ne l'aime pas" (25 novembre 2018) -"protéger son confort", quand on est smicard ou à peine!
Sinon, ils sont bien silencieux les gens du show-biz, du cinéma, de la littérature, de la chanson, eux qu’on voit si souvent dans les médias pour combattre la faim et la misère, avec des majuscules, pourvu qu’on ne les oblige pas à prendre parti pour les faméliques et les miséreux, avec des minuscules, qui vivent au pied de chez eux... Ce retour de l'ancien peuple qui fait l'Histoire et souhaite dégager le vieux monde -le faux projet avoué de Macron- me donne le sourire.
Michel Onfray
mardi 18 décembre 2018
L'insuffisant et le superflu
Par Jean-Paul Brighelli :
Source.
Rappelez-vous :
« Pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. »
C’est dans le Mariage de Figaro, écrit en 1778 mais joué pour la première fois dans une vraie salle de théâtre en 1784. Si peu de temps avant la Révolution ? Oui.
À quel propos évoqué-je Beaumarchais ? Une idée qui m’a traversé lundi dernier, en écoutant Macron. « Pourvu que je n’exige ni rétablissement de l’ISF, ni augmentation réelle du SMIC, ni taxation juste des grands groupes en général et du GAFAM en particulier, ni référendum d’initiative populaire, ni excuses pour les abus de langage du président de la République, je puis parler de tout librement — tant que je m’en tiens aux formes « démocratiques », ce qui consiste à m’en remettre à la représentation nationale et à des députés-godillots… »
Parce qu’enfin, les milliards perdus par la suppression de l’ISF, il faut bien aller les chercher quelque part — dans les poches de ceux qui n’ont pas grand-chose, par exemple. L’agent, surtout depuis que nous n’avons plus — contrairement aux Américains, aux Russes, aux Chinois et aux Japonais — la capacité de le créer nous-mêmes, il faut bien aller le chercher là où il est. Pas dans les banques qui prospèrent magnifiquement, mais chez les fauchés.
Quant au SMIC, je me demande (non, je ne me demande pas, en fait) comment feraient Macron et ses ministres pour vivre — se loger, manger, élever ses enfants, et payer le gaz, l’électricité et les impôts — avec 1200 € par mois.
Pendant ce temps le Premier ministre espagnol relève le SMIC ibérique de 22% en affirmant : « Un pays riche ne peut avoir des travailleurs pauvres ». Ciel, il va ruiner les entreprises de son pays ? Pas même, explique Libé. Et Podemos se paie le luxe de railler « l’indifférence sociale » de Macron, « une des causes de l’explosion contestataire des gilets jaunes, une rébellion que nous voulons éviter ». Mais vous savez qu’ils pensent, en Espagne !
En 1629, Antonino Diana, un célèbre Jésuite, commence à publier ses Resolutionum moralium partes duodecim, dans lesquelles, reprenant l’opinion du doctissime Gabriel Vasquez, autre casuiste de référence, il note : « Ce que les personnes du monde [i.e les nobles] gardent pour relever leur condition et celle de leurs parents n’est pas appelé superflu ; et c’est pourquoi à peine trouvera-t-on qu’il y ait jamais de superflu dans les gens du monde, et non pas même dans les rois. » Traduisons, à l’usage de nos contemporains : les gens riches ne sont jamais assez riches pour maintenir leur condition de gens riches ; ils n’ont donc pas à payer d’impôt — ni, au XVIIe siècle, à pratiquer l’aumône. Seuls les pauvres y sont astreints. Cela émeut Pascal (dans la Sixième Provinciale). Cela n’émeut apparemment pas Emmanuel Macron. Il est pourtant facile d’imposer les riches, à commencer par les riches entreprises, sur la part de bénéfices acquis en France. Mais on ne le fait pas — alors que les Américains n’hésitent pas, eux, comme l’explique Marianne cette semaine.
Mais l’essentiel n’est pas dans ces considérations technocratico-économique : je ne suis pas Marine Le Pen pour me laisser enfermer dans un débat financier. L’essentiel est dans le mépris dont on inonde le peuple. Et dont on l’a inondé déjà lorsqu’une conjuration de politiciens et de médiocrates (le médiocrate est, comme son nom l’indique, un homme de médias de niveau médiocre) ont renversé le vote négatif sur Maastricht.
Cela fait des années que ces membres de l’oligarchie se croient supérieurs parce qu’ils ont le pouvoir au terme de processus électoraux biaisés. Des années qu’ils méprisent le peuple. Eh bien, quitte à en rester au XVIIe siècle, qui vaut bien le XXIe, voici que ce que Cardinal de Retz déclarait à Condé, qui avait pour la populace le mépris de tous les aristocrates, au moment de la Fronde :
« Je sais que vous comptez les peuples pour rien ; mais je vous supplie de me permettre de vous dire que l’on les doit compter pour beaucoup, toutes les fois qu’ils se comptent eux-mêmes pour tout. Ils en sont là : ils commencent eux-mêmes à compter vos armées pour rien, et le malheur est que leur force consiste dans leur imagination ; et l’on peut dire avec vérité qu’à la différence de toutes les autres sortes de puissance, ils peuvent, quand ils sont arrivés à un certain point, tout ce qu’ils croient pouvoir. »
(Quand même, quelle puissance d’analyse, et quelle classe stylistique ! Etonnez-vous que Retz fût l’une de lectures préférées de Mitterrand — l’un des derniers présidents à avoir des Lettres…)
Là encore, transposons. Peu importent les forces policières, la répression, les arrestations préventives (un concept qui fait frissonner d’extase un certain nombre d’avocats qui croient encore au Droit), les lacrymogènes par milliers. Peu importent les discours raisonnables, la condamnation de la violence (mais où est exactement la violence ?), les propositions de commissions-pour-noyer-le-poisson, et les aumônes de quelques sous. Le peuple a ouvert les vannes. Bien malin celui qui saura les refermer — ou même prévoir quand elles se refermeront. Même si le mouvement des gilets jaunes s’étiole en surface, il brûle désormais en sous-sol, et ressortira pour les Européennes — et au-delà.
Jean-Paul Brighelli
PS. À propos d’arrestations préventives… Si nous disposons de l’arsenal juridique qui permet d’arrêter préventivement un millier de gilets jaunes sous prétexte qu’ils ont un masque et un tuba dans leur voiture, pourquoi, sous prétexte qu’ils ont chez eux des armes et à leur palmarès quelques dizaines de méfaits divers, n’arrêtons-nous pas quelques milliers de Fichés S susceptibles d’endeuiller les marchés de Noël ? Je dis ça, je dis rien.
samedi 15 décembre 2018
Le libéralisme contre la démocratie
Avec Edouard Husson
Atlantico : Face à la montée d'adversaires des démocraties occidentales (populisme, islamisme…) celles-ci semblent incapables de répondre à cette menace, et leurs stratégies pour se défendre ces dernières années semblent même au contraire prêter le flanc aux assauts de leurs adversaires. Est-ce que, paradoxalement, les démocraties occidentales n'ont pas fini par s'affaiblir à force de vouloir se renforcer contre leurs ennemis ?
Edouard Husson : Il faudrait être sûr que nous sommes d’accord sur les termes employés. Les démocraties occidentales ont, sauf exception, été en partie vidées de leur substance par le libéralisme. Rien d’étonnant à cela: l’un des maîtres à penser de la révolution néolibérale est Friedrich Hayek, qui dit ouvertement dans son oeuvre se méfier de la démocratie, vue comme un système qui conduit immanquablement à la demande d’un Etat-Providence donc à une perte de liberté. Il ne faut donc pas inverser les facteurs: les libéraux, depuis le début des années 1990, c’est-à-dire depuis le moment où le bloc soviétique s’est définitivement effondré, ont mis en place un système consistant à limiter la démocratie. Ils ont transféré à des systèmes de décision non démocratiques (l’Union Européenne, l’OMC, les conférences sur le climat) des thématiques et des sujets qu’ils voulaient soustraire au contrôle démocratique. Le populisme n’est qu’une réaction au néolibéralisme, une volonté de réaffirmer la démocratie dans l’environnement hostile de la solidarité des dirigeants néolibéraux de tous les pays. L’islamisme, lui, est une réaction totalitaire à la modernisation des sociétés et des populations musulmanes.
Une des grandes faiblesses des démocraties occidentales ces dernières années semblent d'avoir souvent opté par une voie plus technocratique ou supranationale. En témoigne l'exemple récent du Pacte de Marrakech. A tellement vouloir se protéger nos démocraties n'en finissent-elles pas par exclure leurs citoyens de l'action politique, lesquels se retournent contre eux ?
L’exemple du Pacte de Marrakech est flagrant: les néolibéraux de tous les pays sentent bien que le sol se dérobe sous leurs pieds. Les peuples ne veulent pas d’une immigration non contrôlée. Vous pouvez, un temps, crier à la xénophobie et au racisme mais la formule s’épuise. Que vous reste-t-il à faire? Imaginer un texte signé par tous les gouvernements, qui affirme la supériorité d’un engagement « global » sur tout débat démocratique national. Bien entendu, il s’agit d’un texte non contraignant mais ce n’est qu’un prélude. D’autres suivront, à propos desquels on expliquera que, puisque l’immigration est un problème, et qu’il n’est pas soluble au niveau national, on doit renforcer l’arsenal supranational. L’euro repose sur un raisonnement similaire: la monnaie est un sujet trop sérieux pour être laissé entre les mains des gouvernements nationaux; alors même que la monnaie touche à ce qu’il y a de plus caractéristique d’une culture politique, on a proclamé l’indépendance des banques centrales et leur organisation dans un système supranational, qui a vocation à être régulièrement renforcé.
Une autre des faiblesses de nos démocraties n'est-elle pas qu'elles sont fondées sur des grandes décisions qui ne peuvent être annulées, qui ne laissent pas le choix, qui n'envisagent qu'une seul voie ? Quand on pense à l'actuelle situation du Brexit par exemple, ne doit-on pas en conclure que le problème est que nos systèmes de la même façon qu'ils n'ont pas envisagé qu'une sortie de l'UE était possible, ne semblent pas en mesure de proposer des structures qui permettent une véritable alternance ?
Angela Merkel a largement utilisé le slogan « Il n’y a pas d’alternative ». Mais on peut remonter plus longtemps en arrière: l’euro a été pensé comme si les peuples ne voulaient jamais en sortir. Nous pourrions prendre chacun des grands sujets: culture, politique, économie, finance, environnement, etc....et nous découvririons à chaque fois le même phénomène: il a été affirmé à un moment qu’il n’y avait qu’une politique possible. Et cela a justifié que l’on effectue des « transferts de souveraineté », qui sont en fait des affaiblissements de la démocratie. Cela fait des décennies que la paix est assurée en Europe entre les anciens belligérants de la Seconde Guerre mondiale; mais vous remarquerez que l’on continue à utiliser cet argument (« l’Europe c’est la paix ») pour pousser un autre objectif, très différent de ce qu’avaient imaginé Schuman, Adenauer ou de Gasperi: nos modernes européistes imaginent la création d’une Europe de la démocratie limitée. Le cas du Brexit est instructif dans la mesure où l’on voit bien ce que produit le fait de se fréquenter entre dirigeants en permanence, au détriment du débat national. Alors même que la négociation était possible, Theresa May a laissé traiter le sujet par des « technos »: au lieu de d’appuyer sur le Parlement et de profiter du Brexit pour renforcer son emprise politique.
Quelles voies s'ouvrent à nous dès lors pour sortir de cette spirale négative ?
Le mouvement des Gilets Jaunes offre une occasion de reconquête de la décision au profit de la démocratie. Après tout, Emmanuel Macron, lorsqu’il prend la décision de lâcher du lest, budgétairement parlant, le fait en ignorant la règle du déficit limité à 3% du PIB. Cette règle, comme beaucoup de celles qui gouvernent l’euro, est parfaitement conventionnelle, arbitraire même. Le chiffre des 3% avait été fixé à l’époque de la négociation de Maastricht, au doigt mouillé. Ce faisant, Emmanuel Macron ne fait qu’entamer un processus de réappropriation de la décision budgétaire par la politique nationale. Evidemment, si l’on prend au sérieux le vote du budget par le parlement national, on doit prévoir d’avoir, un jour, un retour des finances publiques à l’équilibre. Mais ce sera une décision prise dans un cadre réaliste et cohérent, celui de la nation. D’une manière générale, il faut, dans tous les domaines, retrouver la voie du débat démocratique, du contrôle par le Parlement. Tout ce qui a été retiré à la démocratie comme pouvoir de décision doit lui être rendu. Et il faut encore renforcer la démocratie: là aussi utilisons la crise des Gilets Jaunes: mais il faut aller beaucoup plus loin encore que le débat proposé par Emmanuel Macron.
vendredi 14 décembre 2018
Le diagnostic d'Henri Guaino
Après les annonces d'Emmanuel Macron face au mouvement des Gilets jaunes, Henri Guaino dresse le bilan du management de la crise par le gouvernement et met en garde contre son incapacité à transgresser les dogmes de la «mondialisation heureuse».
Bientôt quatre semaines de ce qui restera, quelle qu'en soit l'issue, comme «la crise des Gilets jaunes». Cette issue, nul ne peut encore la prévoir. Mais ces quatre semaines de protestations et de désordres nous en disent beaucoup sur l'état de notre société et sur son avenir.
Les images de violences, de pillages, ont fait apparaître les limites du maintien de l'ordre public par la police la gendarmerie. Plus profondément, s'est imposée l’évidence que les forces de l'ordre n'avaient ni la vocation ni les moyens d'assurer la cohésion de la nation et qu'il ne fallait pas confondre l'ordre social et l'ordre public, le second pouvant devenir mission impossible lorsque le premier est trop compromis.
Ce n'est pas encore une révolution, mais c'est déjà un soulèvement qui balaie l'autorité
La crise de 2008 et celle des Gilets jaunes, ce sont des portes qui se sont entrouvertes sur l'extrême fragilité de nos sociétés et de nos économies. La crise financière de 2008 nous a fait entrevoir le chaos économique, celle des Gilets jaunes nous fait entrevoir le chaos social. Nous autres, Français, nous savons maintenant que notre société est périssable. Ce n'est pas la première fois que notre pays connaît des mouvements sociaux qui se radicalisent. Mais celui-ci appartient à une espèce bien particulière : ce n'est pas la mutinerie d'une profession, d'une classe d'âge ou d'une région, c'est une mutinerie qui touche toutes les catégories sociales, tous les âges, toutes les régions et qui, au plus fort de sa popularité a recueilli, fait rarissime, jusqu'à 80% de soutiens dans l'opinion.
Ce mouvement n’a pas d'idéologie, pas de parti, pas de syndicat, pas de chef, il ne porte pas le nom propre d'une figure emblématique comme le poujadisme. Ce n'est pas encore une révolution, mais c'est déjà un soulèvement qui balaie l'autorité, non pas tant par ses violences où se retrouvent des extrémistes de tous les bords mais aussi les voyous et les casseurs, que par le fait qu’une partie de la société refuse tout à coup de jouer le jeu, de respecter les règles. Que tant de gens se retrouvent partout pour manifester quand et comme ils en ont envie, sans demander l'autorisation, allant, comme certains l'ont proclamé, où le cœur leur en dit, sans qu'aucune autorité y puisse rien, que l'on en soit arrivé là, voilà qui est le plus inquiétant pour l’avenir.
Le pouvoir a trop attendu. Il a laissé s'ouvrir la boîte de pandore de toutes les frustrations
Une limite a été franchie, transgression presque imperceptible derrière les incendies de voitures, les bris des vitrines, le vacarme des saccages et des grenades lacrymogènes, presque imperceptible mais décisive. Ce sentiment que, tout à coup, tout est permis, il ne fallait pas le laisser prendre conscience de lui-même au risque de toutes les surenchères et de toutes les radicalisations.
Le pouvoir aurait du répondre tout de suite : un gouvernement doit toujours être attentif à ne pas franchir cette limite au-delà de laquelle l’autorité vacille et lorsqu’il se rend compte qu’elle est atteinte, il doit tout de suite calmer le jeu. La rhétorique du «nous ne cèderons pas», «ce n'est pas la rue qui gouverne» atteint très vite ses propres limites. Savoir céder à temps fait partie de l'art de gouverner. Pour gouverner un peuple, il faut que celui-ci, à défaut d'adhérer, consente. «Je ne referai pas la France sans les Français », disait De Gaulle en 58. Qu’une partie minoritaire mais significative de la population oppose un refus absolument déterminé et c’est toute l'organisation de la société qui est ébranlée. Le pouvoir a trop attendu. Il a laissé s'ouvrir la boîte de Pandore de toutes les frustrations, de toutes les souffrances de toutes les rancœurs, de toutes les colères et de toutes les revendications et plus personne ne sait où cela mènera.
Le plus angoissant dans cette histoire n'est pas sur les ronds-points ou dans les rues il est dans les discours politiques et dans les analyses des spécialistes de l'opinion qui tournent en boucle à la radio, la télévision, car ils traitent comme de la politique ordinaire quelque chose qui ne l'est pas. Chacun fait des additions et des soustractions comme ont le fait à chaque annonce politique depuis des décennies. Le président de la République annonce enfin des mesures pour tenter de calmer les protestataires.
Ces mesures corrigent, en partie, les décisions qui ont fait déborder le vase des colères. Mais personne ne pose la question de savoir pourquoi le vase est plein. Des experts prennent des airs entendus pour expliquer que nous assistons à un tournant économique et social. Mais une correction n'est pas un tournant. Or, c'est bien un vrai tournant que réclame la société dans ses profondeurs et pas seulement la société française mais les sociétés de tous les pays développés. Ce vrai tournant ce serait de mettre sur la table et de décortiquer la machine à effacer les frontières, à broyer les sociétés, les économies, les cultures, les identités, machine infernale que nous avons mise en place depuis presque quatre décennies.
Tant qu’il en sera ainsi, le pouvoir se condamne à être toujours en retard d’une surenchère
La crise qui mine les sociétés des pays développés, celle de la France en particulier, est la crise d'un système qui, à force d'abîmer beaucoup de vies, à force de trop tirer sur la corde, atteint son point de rupture. Le drame c'est qu'il faudrait longtemps pour s’en extraire alors que l'urgence sociale et humaine est là. Mais, surtout, changer de politique pour contrer les effets les plus néfastes de ce système, pour rendre aux peuples la maîtrise de leur destin, pour leur permettre de choisir dans quelle civilisation, dans quelle société ils veulent vivre, exigerait des transgressions dont les pouvoirs installés, tous, quels qu'ils soient, semblent incapables, du moins dans cette Europe où l’élection de Trump et le Brexit ne paraissent pas avoir ébranlé les certitudes de la classe dirigeante.
Tant qu’il en sera ainsi, le pouvoir se condamne à être toujours en retard d’une surenchère. Ce qui rend la situation actuelle très dangereuse c’est bien cette incapacité à transgresser les dogmes de «la mondialisation heureuse», de «l’Europe heureuse», du «multiculturalisme heureux», qui nous gouvernent depuis trop longtemps, confrontée au sentiment qu’éprouvent désormais ceux qui en sont les victimes que «cela ne peut plus durer». Manifestement, tout le monde n’en a pas pris la mesure.
samedi 1 décembre 2018
Les gilets jaunes vus par Natacha Polony
La mobilisation des Gilets jaunes se poursuit et a été particulièrement marquante sur les Champs-Elysées, non loin du palais présidentiel qui, selon la journaliste Natacha Polony, joue avec cynisme sur un mouvement dont il ne comprend pas l'ampleur.
La fumée des barricades embrasées donnait aux illuminations de Noël un aspect d’étrange féérie. Les Champs-Elysées n’avaient sans doute jamais connu un tel chaos. Et l’on pourra se demander qui, de la mairie de Paris ou des forces de l’ordre, est responsable d’avoir laissé le matériel des innombrables travaux de voirie sur un espace où était annoncée une manifestation, un espace que les CRS auraient pu sécuriser mais dont ils ont choisi de laisser l’accès libre pour ensuite déplorer le triste spectacle.
Bilan catastrophique, mais le pouvoir peut se féliciter
L’analyse des décisions d’encadrement des forces de l’ordre devra d’ailleurs être fait : il était étonnant de voir des CRS chasser des manifestants d’un périmètre et ne pas le sécuriser par la suite, de sorte que les mêmes manifestants revenaient par des rues adjacentes. Les images enchanteront les télévisions américaines qui pourront disserter à loisir sur la France, pays de guérilla.
Bilan catastrophique, mais le pouvoir peut se féliciter. Les Français retiendront les images de la manifestation parisienne, commentées tant et plus par des chaînes d’information continue dont les innombrables experts distinguaient doctement parmi les manifestants des militants d’ultradroite et des identitaires, au motif que surnageaient quelques drapeaux bretons ou vendéens. Pourtant, sur les 106 301 Gilets jaunes officiellement recensés (chiffre vraisemblablement sous estimé, mais hilarant de précision et surtout extrêmement important), 8 000 seulement étaient à Paris. Partout ailleurs, à Bordeaux, Montauban, Toulouse ou Colmar, les gens qui défilaient l’ont fait avec une admirable dignité, dans un souci du bien commun qui force le respect.
Le président de la République a préféré fustiger ceux qui «ont agressé les forces de l’ordre», laissant croire qu’il s’agirait de Gilets jaunes et non ces casseurs
Le contraste avec les déclarations du ministre de l’Intérieur tentant de renvoyer l’ensemble des gilets jaunes à l’extrême droite illustre la déchéance d’un pouvoir acculé.
Tous les observateurs honnêtes témoigneront que, même à Paris, la majorité des manifestants était pacifique. Quand un jeune homme s’est avisé de briser la vitrine de la boutique Zadig et Voltaire du Rond Point, les forces de l’ordre l’ont laissé faire, et ce sont des Gilets jaunes qui se sont interposés. Mais le spectacle offert par les chaines d’info, comme les commentaires des macronistes officiels et officieux, ne laissait pas deviner ce civisme, malgré les nombreuses Marseillaises entonnées ici ou là. Le président de la République a préféré fustiger ceux qui «ont agressé les forces de l’ordre», laissant croire qu’il s’agirait de Gilets jaunes et non ces casseurs qui s’infiltrent dans chaque manifestation.
Tous les observateurs honnêtes témoigneront que, même à Paris, la majorité des manifestants était pacifique. Quand un jeune homme s’est avisé de briser la vitrine de la boutique Zadig et Voltaire du Rond Point, les forces de l’ordre l’ont laissé faire, et ce sont des Gilets jaunes qui se sont interposés. Mais le spectacle offert par les chaines d’info, comme les commentaires des macronistes officiels et officieux, ne laissait pas deviner ce civisme, malgré les nombreuses Marseillaises entonnées ici ou là. Le président de la République a préféré fustiger ceux qui «ont agressé les forces de l’ordre», laissant croire qu’il s’agirait de Gilets jaunes et non ces casseurs qui s’infiltrent dans chaque manifestation.
Emmanuel Macron, du temps où il faisait la leçon à son prédécesseur, avait reproché à François Hollande son mépris pour les manifestants de la Manif pour tous. La tactique était pourtant simple, renvoyer à toutes forces les citoyens pacifiques du premier jour vers Civitas et les identitaires, laisser le mouvement se radicaliser pour mieux le décrédibiliser. Les Gilets jaunes sont un mouvement spontané, venu des tréfonds du corps politique. Une colère, une indignation, même, contre un système injuste qui empêche peu à peu les petites classes moyennes de vivre correctement de leur travail.
Les privilèges qui furent abolis dans la nuit du 4 août 1789 se sont reconstitués
La morgue macronienne et les caricatures de Christophe Castaner n’ont qu’un objectif : renforcer les éléments radicaux de ce mouvement pour le transformer en une éruption extrémiste. Mais la colère des Gilets jaunes est d’un autre ordre qu’une protestation contre un projet de loi. C’est une lame de fond qui monte. Les Gilets jaunes ne sont que les premiers soubresauts du séisme à venir. Car ils incarnent ce tiers état qui aspire simplement à ce que soient tenues les promesses de la démocratie. Un tiers état qui trime pour boucler ses fins de mois et qui voit les 0,1% les plus riches échapper à l’impôt, qui voit l’Etat s’appauvrir et couper dans les services publics plutôt que de lutter contre les procédés d’optimisation fiscale des multinationales.
La question politique qui s’impose à nous est de savoir comment on peut se retrouver, plus de deux siècles après la révolution française, face à des mouvements populaires qui ressemblent tant à ceux d’un peuple soumis à l’ancien régime. Les privilèges qui furent abolis dans la nuit du 4 août 1789 se sont reconstitués. Emmanuel Macron n’est évidemment pas la cause de ce phénomène, dont il faut chercher les sources dans le processus de dérégulation de l’économie qui a peu à peu détruit le compromis social et politique issu de la seconde guerre mondiale. Mais Emmanuel Macron avait réussi à faire croire le temps d’une campagne qu’il portait la nouveauté.
Il était le changement sans le chaos, la «révolution» sans la violence mais avec l’enthousiasme. Les quelques uns qui tentaient alors de faire valoir que le changement proposé n’était que de façade, qu’il s’agissait de remplacer les hommes pour mieux préserver le système, ont été traités de «déclinistes», de «populistes» ou de «réactionnaires». Il était hors de question de gâcher la fête avec des interrogations désagréables, comme celle qui consistait à demander ce qui se passerait le jour où, au pied du mur, il faudrait choisir entre les propositions contradictoires de l’«en même temps», et si le macronisme – ô suspense – préférerait fâcher le peuple ou les lobbys. Il n’y aura fallu que dix-huit mois. Quelques mois pour démontrer que dans un environnement économique contraint, où l’orthodoxie budgétaire interdit tout investissement, mais où il est également inenvisageable de protéger ses filières vitales, la seule marge de manœuvre possible est l’impôt, non pas pour les plus riches, qui partirait avec les derniers capitaux, mais pour les classes moyennes assignées à résidence.
Il est urgent d’offrir un débouché politique à la colère d’un peuple qui se sent acculé
La vieille recette de la reductio ad lepenum de toutes les oppositions ne fonctionnera plus très longtemps. En revanche, il est urgent d’offrir un débouché politique à la colère d’un peuple qui se sent acculé, condamné à la simple survie pour préserver un système dans lequel les individus sont privés de leur rôle de citoyens pour n’être que des rouages d’une machine économique orientée vers le profit de multinationales déterritorialisées et d’élites détachées de toute appartenance et de toute solidarité. Les Pierre Moscovici et les Jean-Claude Junker seraient bien avisés d’entendre le grondement de tous les Gilets jaunes du monde occidental, car nul ne peut souhaiter que la colère se transforme en rage et en désespoir.
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