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dimanche 24 juin 2018

L'Europe biotope de l'homme européen




Sur Atlantico :

Sommet Immigration : pourquoi l’Europe ne trouvera aucune solution "technique" viable aussi longtemps qu’elle refusera de se confronter au tabou de son identité


Atlantico : Alors qu'un sommet sur l'immigration ce tiendra ce dimanche 24 juin à Bruxelles, à l'initiative de la Commission européenne, en vue de préparer le prochain conseil européen, les pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) ont exclu de participer à une telle réunion. Dans quelle mesure un tel sommet peut-il être symptomatique d'une approche européenne trop tournée vers la recherche de solutions techniques et pas assez vers la nécessité de répondre aux angoisses des différentes populations, notamment à l'est, mais également dans les autres pays européens, concernant l'affirmation de l'identité européenne ?
En quoi un tel discours peut-il être nécessaire pour répondre cette angoisse ?

Paul-François Paoli : Il faut d'abord noter que ce conseil européen ne mobilisera surement pas les foules et ce d'autant moins que celles ci sont hypnotisées par le grand spectacle de la Coupe du Monde. Mais venons en au fond du sujet. il est étonnant de constater à quel point la question des migrants est dissociée de l'essentiel: à savoir le sentiment que beaucoup d’Européens ont de ne plus vivre en Europe. Comment ne pas se rendre compte que l'angoisse, sans doute disproportionnée en France, que suscite la venue de migrants est liée au sentiment que les Etats ne maîtrisent plus la destinée des peuples qui leur incombent. Ce que l'on appelle le populisme est une réaction viscérale de populations qui ne se sentent plus représentées par les institutions qui prétendent parler en leur nom. Dans les années 75, souvenons nous de la tragédie des boat people durant laquelle des dizaines de milliers de Vietnamiens ont fuit leur pays sur des radeaux de fortune pour se réfugier en France. A l'époque le président Giscard leur avait ouvert les portes et il y avait eu un vrai mouvement de générosité. Les Français seraient ils devenus xénophobes en 40 ans? Surement pas. Ce qui s'est passé c'est que les équilibres culturels et anthropologiques de ce pays ont été bouleversés par une immigration qui professe une religion, l'islam, qui rend impraticable les mécanismes d'assimilation qui ont fonctionné avec les immigrés européens mais aussi vietnamiens ou cambodgiens. C'est l'échec de l'assimilation depuis les années 80, échec dont témoignent les phénomènes de délinquance massive et la radicalisation islamique,  qui explique cette angoisse concernant les migrants. Trop d'immigration tue la tolérance migratoire.

 S'ajoute à cela la prévision catastrophique concernant l'immigration africaine. Si l'on en croit le journaliste Stephan Smith l'Europe doit s'attendre à ce que des dizaines de millions d'Africains veuillent émigrer chez nous. Dans ces conditions quel est le pays, qu'on nous le cite, qui ne serait pas inquiet? Il est honteux à ce sujet de devoir subir les leçons d’éthique et de grandeur morale des professionnels de l'indignation médiatique. Les pays d'Europe centrale expriment un refus qui est aussi celui de ceux que l'on appelle, à l'ouest, les populistes. L'Europe s'est construite, notamment depuis Maastricht, sur la limitation du droit des peuples à disposer d'eux même. La religion des droits de l'homme et de l'Etat de droit a mis sous le boisseau les droit des peuples et des Etats. Il faut aujourd'hui à mon sens renverser la donne et privilégier le droit des Etats, notamment à avoir des frontières, sur les droits de l'homme. Les peuples ont le droit de perdurer dans leur être. Certains peuples, notamment en Asie, je pense aux Japonais refusent l'immigration et nul ne leur en fait le procès. Il est cocasse de voir des éditorialistes soutenir la cause du peuple kurde à avoir un Etat et des frontières, en somme une identité, tout en considérant que cette exigence est de nature populiste quand il s'agit des Hongrois ou des Polonais.

Arnaud Lachaize : Le sujet ne cesse de s'aggraver depuis 20 ans.  On se souvient du Conseil européen de Séville en juin 2002. Les chefs d'Etat et de gouvernement, se sont affrontés entre ceux qui voulaient  sanctionner les pays sources et ceux qui s'y opposaient. En 2011, le printemps arabe a entraîné une nouvelle vague migratoire sur l'Europe. La déstabilisation du Moyen-Orient a provoqué une gigantesque vague d'arrivées d'un million de personnes en Allemagne au cours de l'année 2015 qui s'est poursuivie en 2016. Les gouvernements européens sont totalement désemparés. Ils sont tiraillés entre le politiquement correct des élites qui veulent faire de l'Europe une terre d'accueil ouverte inconditionnellement à tous les flux migratoires de la planète et leurs opinions publiques angoissées par l'incapacité des Etats à maîtriser la frontière. Ce sont toujours le mêmes débats qui reviennent notemment la répartition impérative des populations migrantes par quotas.  Cette ingérence touchant au peuplement des nations a été partout ressentie comme inadmissible. Elle explique la décomposition de l'Europe, à commencer par le Brexit, aujourd'hui la réaction du groupe de Visegrad et l'Italie. L'aveuglement des classes dirigeantes allemande et française est inouï. Elles ne veulent pas voir la réalité.

Comment apporter une réponse politique efficace, liée à une affirmation d'une identité européenne, qui pourrait concilier les différences entre pays mais également satisfaire des opinions publiques à l'ouest défavorables à l’accueil ?

Paul-François Paoli : Le populisme est l'expression souvent chaotique et désordonnée d'une aspiration identitaire et sécuritaire légitime. On sait bien que le mot d'identité est un gros mot pour certains. Mais les groupes humains ne sont pas comme les individus, ils ont leur loi propre. Comment voulez vous aller à la rencontre d'un Nigérian, si vous ne savez pas qui vous êtes en tant que Français?  Nous avons, en tant qu'Européens, des histoires nationales complexes et tragiques. Nous nous sommes déchirés les uns les autres, notamment entre Allemands et Français et nul ne souhaite le retour à un nationalisme belligérant et guerrier. Par contre les peuples ont le désir légitime de continuer à vivre dans un pays que se ressemble. L'identité est revendiquée en particulier sur le mode patrimonial comme l'a bien vu le politologue Dominique Reynié. Mais ce patrimoine ne suffit pas. Nous sommes héritiers d'un culture grecque et chrétienne qui nous est absolument singulière. Les mondes africains et chinois se sont construit hors de nos schémas de civilisation. L'Europe a inventé la notion d'idéal. Et elle a aussi crée une certaine conception de la liberté centrée sur l'individu.

Arnaud Lachaize : Parler d'une "identité européenne" n'est pas la bonne réponse. Les populations européennes se moquent des grandes déclarations pompeuses. Ce qu'attendent les Européens, dans leur immense majorité, c'est que les Etats accomplissent la mission qui est leur raison d'être! Qu'ils protègent les frontières et mettent fin au grand chaos. La question n'est d'ailleurs plus celle de l'immigration mais de la guerre qui est livrée à l'Europe par des mafias criminelles. Des groupes esclavagistes extrêmement puissants sont en train de déstabiliser à la fois l'Afrique et l'Europe en amassant de gigantesques fortunes. Face à cette réalité, les gouvernements européens se montrent d'un aveuglement, d'une impuissance et d'une lâcheté  qui a peu de précédents historiques. Plus ils se déchirent et s'insultent mutuellement, et plus ils refusent de prendre leurs responsabilités. Nous assistons à une véritable débâcle de l'autorité politique en Europe. Cette défaillance est en train de déchirer le continent européen, de raviver les nationalismes hostiles.

Comment anticiper les décisions de ce prochain conseil européen ? Les lignes de fracture entre les différents pays peuvent-elles réellement être réconciliées en l'état ? 

Paul-François Paoli :  Je ne crois pas que l'Europe puisse se fonder sur le mépris. Quand le président Macron évoque la "lèpre populiste" il ne commet pas seulement un écart de langage il commet une faute politique qui a été très violemment ressentie en Italie et qui, au passage, n'a fait que renforcer le camp dit populiste. La France n'est pas et n'est plus l'éducatrice des peuples, ce qui est au passage une bonne chose au vu des désastres engendrés par la colonisation française, qui était une idée de gauche, puis par la décolonisation. Une réconciliation n'aura lieu entre les peuples européens que lorsque leurs aspirations civilisationnelles communes seront prise en compte.

Arnaud Lachaize : Oui, elles pourraient l'être! Il faut en finir avec la logique totalitaire des quotas d'accueil! Plutôt que de se déchirer, les grands Etats européens n'ont qu'un devoir à remplir vis-à-vis de leurs citoyens: d'une part mettre en place une force d'intervention commune pour frapper militairement les passeurs esclavagistes qui ensanglantent la Méditerranée, déstabilisent l'Europe et leur imposer un blocus; d'autre part s'engager dans la voie d'un gigantesque plan de développement économique et social de l'Afrique  tout en facilitant la mobilité entre les continents dans des conditions régulière et en respectant le droit d'asile en faveur des véritables victimes de persécutions par l'examen sur place des dossiers individuels, avant l'arrivée en Europe. Aujourd'hui, l'explosion politique de l'Europe et le grand chaos qui en résulte sont le prix à payer de l'indécision et de la faiblesse  sur ce dossier, mais aussi de la médiocrité intellectuelle des dirigeants européens et de leur manque de vision historique.  L'histoire est un éternel recommencement.

vendredi 22 juin 2018

Le bloc-notes d'Ivan Rioufol




L’Europe des nations entame sa reconquête

IVAN RIOUFOL

L’Espagne est gagnée par le syndrome de la Castafiore. La cantatrice de Tintin vocalise sur Gounod : « Ah ! Je ris de me voir si belle en ce miroir ! » S’enivrent ainsi d’eux-mêmes ceux qui, depuis dimanche, se mirent dans leur grande bonté en s’ouvrant aux 629 « réfugiés » de l’Aquarius, navire indésirable en Italie, à Malte, en France. « Bienvenue chez vous », est-il écrit à l’entrée du port de Valence. Sur la mairie, une banderole : « Nous voulons accueillir. » En dessous : « Le passé est en noir et blanc. Le futur multicolore. » Le nouveau gouvernement socialiste de Pedro Sanchez a offert à chaque clandestin une carte de séjour de 45 jours, ainsi qu’une carte sanitaire gratuite. Il a fait enlever les lames tranchantes posées sur les hauts barbelés (6 mètres) qui séparent du Maroc les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla sur respectivement 8 km et 12 km. La moitié des clandestins de l’Aquarius, dont les 11 Marocains et les 43 Algériens, veulent venir en France…

Les socialistes espagnols auraient dû lire saint Vincent de Paul : « Le bruit ne fait pas de bien, et le bien ne fait pas de bruit. » L’exhibition de leur générosité sonne faux. Ce narcissisme a pour résultat paradoxal d’amener à un oubli de soi. C’est ainsi que l’Union européenne, tombée en dévotion pour l’Autre, s’est mise à mépriser les peuples et les nations qui la constituent. Ce ne sont pas les malheureux Africains débarqués à Valence, accueillis par 2 300  personnes, qui déstabiliseront l’Europe. Cependant, il y a une irresponsabilité de la part de la gauche espagnole, soutenue par le pape François, à ne pas s’estimer solidaire d’une inquiétude collective qui ébranle la construction européenne. « L’Europe est dans un processus de décomposition », a admis, mardi, le ministre Bruno Le Maire, avant une rencontre entre Emmanuel Macron et Angela Merkel. Mais ces deux-là aussi ont été étourdis par l’« Air des bijoux » : « Ah, je ris…! » chantent-ils ensemble.

C’est la folle décision de la chancelière d’accueillir, en 2015, un million de réfugiés musulmans, sous les applaudissements des européistes exaltés, qui est à l’origine de la prévisible rébellion des peuples, furieux de n’avoir jamais eu leur mot à dire. « Mère Angela » (ainsi nommée par les médias dévots, en comparaison de Mère Teresa) avait été unanimement louangée par ceux, dont était Macron, qui estimaient indiscutable l’ouverture de l’Europe, au nom de ses valeurs humanistes et de son « hiver démographique ». La suite est connue : les agressions sexuelles à Cologne et les premiers attentats, la montée de l’antisémitisme islamique, l’échec de l’intégration d’un peuple nouveau, etc. Une fois encore, les Cassandre ont eu raison. Mais les bons apôtres, bénis par le Vatican, ne feront pas leur mea culpa. Les intégristes des droits de l’homme restent insensibles au droit à préserver sa propre patrie. Ils persistent à penser, comme le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, mardi, que les migrations sont « inévitables » et « nécessaires ».

Attendre de Macron et Merkel qu’ils agissent pour résoudre la question migratoire revient à demander à deux pyromanes de gérer les incendies qu’ils ont allumés. Mardi, Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, a appelé à « la solidarité européenne contre les populismes », faisant comprendre que la menace est, pour l’État, dans le réveil des nations et non dans l’immigration de peuplement et l’islam totalitaire. Ces aveuglements sont des complicités. La chancelière, pressée de se ressaisir par son ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer (CSU), est affaiblie. Le président français, qui prétendait relancer l’Europe souveraine en se moquant du « repli national », n’est compris que des hypocrites : ils se gardent d’offrir chez eux l’hospitalité qu’ils défendent. Mardi, Macron et Merkel ont demandé « une réponse européenne » à la crise migratoire. Mais c’est l’Allemagne qui, il y a trois ans, a choisi unilatéralement d’ouvrir ses frontières. Cette Europe-là, coupée des gens d’en bas, n’a pas de leçons de solidarité à donner.

Échec des peuplophobes

Macron paie son erreur d’analyse, réitérée depuis son engagement dans la campagne présidentielle : elle fait croire que les problèmes migratoires se règlent par l’économie et le social. Or les bonnes santés de la Pologne, de l’Autriche ou de l’Allemagne démontrent que la question civilisationnelle dépasse l’approche matérialiste et budgétaire. Que cela plaise ou non, Donald Trump est plus en phase avec les réalités humaines que ses adversaires péremptoires. En juillet 2017, à Varsovie, le président américain s’était livré à un plaidoyer pour la « grandeur de l’Occident » et pour le renouveau des nations et des frontières. Il avait désigné « le terrorisme de l’islam radical » comme l’adversaire du monde libre. À l’adresse des élites suicidaires, il avait déclaré : « Si nous n’oublions pas qui nous sommes, nous ne pourrons pas être vaincus. » Devant les discours sans âme et déconnectés du réel du couple Macron-Merkel, ces Thénardier de l’UE, ceux de Trump s’approchent le plus des reconquêtes démocratiques qui s’observent au cœur des nations renaissantes. Le nouveau monde n’est pas celui que Macron prétend incarner.

L’échec des européistes, ces peuplophobes, est programmé. À moins que Macron et Merkel reconnaissent avoir fait fausse route, l’issue de la crise migratoire ne fera pas l’économie de leur mise en cause. Les perroquets à carte de presse, les politologues encartés, les moralistes de salon sont, dès à présent, confrontés à leur entêtement à nier les faits. Ce sont eux qui répètent depuis trente ans que l’immigration et l’islam ne sont que des peurs irrationnelles, des fantasmes attisés par l’extrême droite. Mercredi, les autorités allemandes ont annoncé avoir déjoué un attentat islamiste à la bombe biologique (ricine), après l’arrestation d’un Tunisien arrivé par regroupement familial. La veille, Trump avait suscité le scandale en assurant que la criminalité dans l’Allemagne ouverte était en hausse. Son choix, corrigé mercredi, de séparer les enfants de leurs parents clandestins arrêtés n’était pas humainement défendable. Aucun faux pas ne lui sera pardonné. Mais les faux gentils, qui feignent la générosité en se détournant des misères qu’ils engendrent, ont perdu toute crédibilité.

Un conservatisme attendu

La France, qui a refusé d’accueillir l’Aquarius, recevra pourtant une partie des clandestins. Cette incohérence est celle du progressisme macronien. En face, le conservatisme doit encore se structurer. Mais sa parole, libérée des génuflexions à Big Other (Jean Raspail), est plus que jamais attendue.


samedi 2 juin 2018

Oui, les migrants font du "benchmarking"




Oui, les migrants font du  "benchmarking".

En déclarant que les demandeurs d’asile comparent les législations en vigueur avant de choisir le pays où se rendre, le ministre de l’Intérieur n’a fait qu’énoncer une évidence, explique le délégué général de l’Institut Thomas-More*.

JEAN-THOMAS LESUEURDESSINS CLAIREFOND

Les déclarations du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, le 30 mai dernier au Sénat, selon lesquelles « les migrants font un peu de benchmarking pour regarder les législations à travers l’Europe qui sont […] les plus fragiles », ont créé la polémique à gauche et semblent gêner certains aux entournures à LaREM. Une fois de plus, les partisans d’une immigration sans limite s’indignent, manient la condamnation morale et cherchent à hystériser le débat. Il n’est pourtant pas de question aujourd’hui qui réclament plus de calme et de sérieux que la question migratoire.

Trois observations, amplement étayées par les faits et des études internationales, prouvent la justesse de l’observation du ministre, et même sa banalité - au point qu’on se demande pourquoi il n’en tire pas lui-même les conclusions qui s’imposent pour renforcer sérieusement en ce sens le projet de loi asile et immigration qu’il s’apprête à défendre devant le Sénat.

Le premier élément, le plus délicat, consiste à refuser d’entrer dans le piège mental et affectif que constitue la sorte d’assomption de la figure du migrant à laquelle on assiste ces dernières années. Systématiquement présenté comme « fuyant la guerre et la misère », le migrant est le nouveau visage du « damné de la terre ». Comme l’a brillamment montré le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté, l’immigré a remplacé l’ouvrier dans le Panthéon de la gauche et du gauchisme depuis une trentaine d’années.

Il en va pourtant bien autrement dans la réalité. S’il y a d’authentiques cas de persécutions et de dangers mortels, qui justifient pleinement le droit d’asile, l’expérience montre que bien des candidats à celui-ci ne répondent pas à la définition du statut de réfugié telle que la donne la convention de Genève de 1951. Sinon, comment expliquer que 61,9 % des demandes ont été rejetées en France en 2017 (chiffres d’ailleurs en baisse significative par rapport aux années précédentes) ? Faut-il rappeler que la police allemande elle-même a estimé que seul un tiers du million de réfugiés que le pays a accueilli en 2015 venait de zone réellement en guerre (Irak, Syrie, Érythrée, etc.) ? Un immigré ouest-africain qui vient en Europe fuit peut-être une situation difficile dans son pays, mais fuit-il une persécution, comme le prescrit la convention de Genève ? La raison répond d’elle-même.

Le deuxième argument qu’il faut rappeler est le rôle que jouent les diasporas dans la circulation migratoire - rôle mis en valeur dans de nombreux travaux internationaux. Il en est ainsi de « Trajectoires d’asile africaines », de Denise Efionayi-Mäder, avec la collaboration de Joëlle Moret et Marco Pecoraro (Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population, Lausanne, 2001), et de « Why asylum seekers seek refuge in particular destination countries : an exploration of key determinants », de Darren Middleton (Commission mondiale sur les migrations internationales, Genève, 2005). Citons surtout l’excellent livre Exodus. How Migration Is Changing Our World, de l’économiste britannique Paul Collier (2013), qui attend toujours sa traduction en français. Collier montre en effet que l’immigration n’est pas un phénomène statique mais dynamique, puisque l’immigration entraîne l’immigration. Plus une communauté d’origine est importante, plus le taux de migrations de cette communauté croît, puisque sa présence encourage et facilite la venue de nouveaux arrivants.

Avant le départ, les diasporas fournissent des canaux d’information précieux pour le candidat à l’immigration. Une fois arrivé, elles l’aident à trouver un logement, un emploi, etc. Comportement infiniment humain et explicable, qui prouve l’importance du facteur communautaire et montre que dans bien des cas, qu’il s’agisse d’une demande d’asile ou d’une migration économique, un travail de préparation rationnel et construit - et éventuellement de comparaison des pays d’accueil - permet au migrant de franchir le pas.

Cette même rationalité se retrouve, troisième observation, dans l’analyse faite par les migrants de la plus ou moins grande générosité des pays d’accueil. Là encore, des études économiques l’ont établi de façon formelle : les détails du droit, des systèmes sociaux, de l’accessibilité des systèmes éducatifs ou de santé sont connus de bien des candidats à l’immigration et constituent des critères de choix de la destination finale (« Understanding the decision-making of asylum seekers », de Vaughan Robinson et Jeremy Segrott, Home Office Research Study, Londres, 2002). Quiconque a eu la curiosité d’aller voir ce qui se dit sur les forums de discussion ou les réseaux sociaux des diasporas aura constaté l’intense échange d’informations.

Cette réalité, assez évidente et simple à comprendre, trouve sa preuve dans le constat en miroir du précédent, à savoir que plus la politique migratoire d’un pays est restrictive, moins les migrants ont tendance à le choisir pour destination (« International Migration : A Panel Data Analysis of Economic and Non-Economic Determinants », d’Anna-Maria Mayda, Forschungsinstitut zur Zukunft der Arbeit, Bonn, 2005 ; et « Immigration policy and self-selecting migrants », de Milo Bianchi, PSE, Toulouse, Working Papers no 2007-41, 2008).

Elle montre ainsi que, hors des cas d’extrême urgence et d’extrême danger, il existe bel et bien une rationalité de l’immigration, des choix construits et logiques que ceux qui refusent tout débat et toute contradiction s’efforcent de dissimuler sous l’avalanche des émotions, des injures et des injonctions morales.

* Think-tank conservateur-libéral.

JEAN-THOMAS LESUEUR