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mercredi 30 mai 2018

Extinction




Par PIERRE VERMEREN :

Biodiversité : la France, l’Europe et le monde connaîtront-ils le destin de l’île de Pâques ?

La destruction de la faune et de la flore en France comme dans l’ensemble du monde atteint un tel degré que l’épuisement des ressources n’est plus une hypothèse qui relève de la science-fiction, explique l’historien*.



Au cœur du Pacifique, l’île de Pâques et ses géants de pierre demeurent les témoins muets d’une civilisation disparue. Des hommes et des femmes y ont vécu, aimé, habité et consommé. Jusqu’à l’extinction des espèces par épuisement complet des ressources. Une civilisation a disparu. La nature a reconquis le territoire.

Au rythme des destructions de la nature qui sont opérées depuis les années 1980, il n’est pas exclu que la folie des hommes les conduise au même chaos, planétaire cette fois. Bien sûr ce millénarisme apocalyptique peut paraître risible. Mais à prolonger les courbes de destruction de la faune et de la flore en cours depuis quarante ans, l’hypothèse prend sens.

Le 18 mai à Marseille, le ministre Nicolas Hulot a annoncé un plan de préservation de la biodiversité, qui sera présenté en juillet. Il érige la protection des animaux en politique prioritaire. Entendre un écologiste parler du cœur de l’écologie est assez rare pour être relevé. Mesurons en effet la gravité de la situation.

On apprenait à la mi-mars l’extinction du dernier rhinocéros blanc du Nord mâle. Les médias ont ensuite révélé la disparition, en quinze ans, de 80 à 90 % des alouettes dans les plaines agricoles de France. Ces deux exemples dévoilent la destruction systématique de la faune africaine et le saccage de la faune endogène d’Europe, par l’homme et par la prolifération des espèces invasives. Le ragondin d’Amérique du Sud a traversé l’Atlantique et s’approprie l’espace du Vieux Continent, comme l’écrevisse de Louisiane ou encore des vers de terre géants issus eux aussi d’Amérique.

Du fait de son histoire et surtout de son sous-peuplement, l’Afrique est demeurée jusqu’au milieu du XXe siècle le conservatoire mondial de la faune sauvage la plus ancienne et la plus diversifiée. Les Romains avaient pillé la faune d’Afrique du Nord et d’Égypte, y faisant disparaître tous les gros animaux (éléphants, girafes, rhinocéros). La colonisation et les guerres ont donné le coup de grâce au XXe siècle (lions, autruches, antilopes ont disparu de la faune du Maghreb). C’est au tour de l’Afrique subsaharienne, désormais. Partout, les parcs naturels y sont menacés, pilleurs et braconniers étant à la manœuvre. Les espèces les plus abattues sont les plus lucratives, et toutes menacées : éléphants, fauves, girafes, rhinocéros, grands singes. Mais les espèces à viande plus ordinaires le sont tout autant, des divers singes aux petits et gros mammifères, découpés à la machette sur les marchés aux étals des boucheries, jusqu’à la Goutte d’Or à Paris. En Afrique, la viande de brousse (qui désigne ordinairement les espèces sauvages de l’Afrique rurale) reste un must chez les néo-urbains issus de l’exode rural. Jusqu’à l’extinction généralisée ? Il y a quelques années, de riches Américains avaient envisagé de créer de vastes réserves en Amérique pour sauver la faune africaine menacée d’extinction. Il serait souhaitable de creuser cette idée. Est-il possible d’imaginer des solutions mutualisées et collectives pour endiguer cette nouvelle extinction des espèces qui n’est nullement due, cette fois, à des phénomènes naturels ?

En France, il y a longtemps que spécialistes et organisations de défense de l’environnement et des animaux sauvages tirent l’alarme. Le commandant Cousteau le faisait dès les années 1970. Mais personne ne les écoute : il est en effet plus commode de s’en prendre aux chasseurs, aux corridas et aux cirques, pour se donner bonne conscience, qu’aux vrais facteurs de l’extinction planétaire de la faune et de la flore. Ainsi en est-il par exemple de la disparition de l’agriculture paysanne et des jardiniers de l’espace qu’étaient les paysans, ce qui contribue à intensifier la destruction des espèces (notamment les plus ordinaires, oiseaux et insectes), du fait des ravages de l’agriculture industrielle. La transformation de la France en une vaste zone d’aménagement et de spéculation livrée à d’intenses flux d’échanges rapides, aux nouveaux acteurs des campagnes (pouvoirs publics, transporteurs, industriels, grandes surfaces et maintenant plateformes commerciales) et à leurs financiers joue aussi son rôle.

Chaque année, un million de hérissons sont massacrés par les désherbeuses des routes de campagnes et autres véhicules. Amphibiens et mollusques d’eau douce sont résiduels du fait de la destruction des mares et marais, remplacés par des bassins d’eau à fond plastifié. Même les écrevisses d’Europe s’éteignent. Les gros prédateurs (loups, lynx, ours, grands rapaces) ont largement disparu, récemment ou de longue date. C’est aujourd’hui le tour des oiseaux et des insectes. Le fait était connu pour les abeilles, malgré la prédiction sans appel d’Einstein, que tout le monde connaît sans vouloir la comprendre (« Si l’abeille venait à disparaître, l’homme n’aurait plus que quelques années à vivre »). Cette prédiction concerne désormais toutes les espèces : Pier Paolo Pasolini avait repéré la disparition des lucioles en Italie au début de la modernisation des années 1970, prélude à leur disparition en Europe ; ce sont désormais tous les insectes volants qui sont concernés, et par voie de conséquence, les oiseaux, dont près de la moitié a disparu en Europe depuis vingt ans (selon une étude publiée en 2013 par la revue scientifique Ecology Letters, récemment confirmée).

Papillons, coccinelles et abeilles seront-ils bientôt des espèces menacées ? Nous avons tous appris pieusement, lors de nos cours de sciences naturelles, les mécanismes de la chaîne alimentaire. Mais nous feignons d’ignorer que nous sommes à son sommet. Or la pollinisation (c’est-à-dire l’opération pendant laquelle les insectes jouent, par leur butinage, un rôle majeur dans la fécondation des fleurs et des arbres fruitiers) est la condition de la reproduction des espèces végétales dont nous sommes aussi tributaires.

De sorte que l’agriculture moderne, pilotée et subventionnée à bout de bras par la Politique agricole commune et une armée de Docteur Folamour de l’agronomie (comme ceux qui ont promu les néonicotinoïdes, ces produits toxiques de la chimie moderne utilisés comme pesticides et qui déciment précisément les abeilles), conduit à la mort symbolique des paysans ; à la disparition des animaux de basse-cour et des animaux des prés, désormais enfermés ; à l’élevage industriel intensif hors sol des animaux de boucherie (le petit Danemark produit autant de porcs que la France, la terre ne servant plus à rien quand le hors-sol se substitue aux prairies) ; puis à la disparition des animaux sauvages, insectes compris, et des fleurs des champs.

La moitié des vertébrés sauvages a disparu en quarante ans (rapport du WWF, Fonds mondial pour la nature, 27 octobre 2016) et la totalité des mammifères sont affectés, du lapin à l’éléphant. Depuis 1970, la moitié de la ressource marine mondiale a disparu dans les mers et les océans (rapport du WWF, 16 septembre 2015), souvent beaucoup plus pour certaines espèces devenues très rares. C’est la survie même de la planète, en tant que sanctuaire de l’espèce humaine, qui est en péril.

Il est à la fois drôle et tragique que les écologistes, en tant que partis politiques, soient nés et aient quasiment disparu en France - sauf à fournir des supplétifs ministériels dans les gouvernements de gauche et de droite - pendant que se déroulaient ces événements sans précédent. Rien n’a fait reculer le productivisme déchaîné (on entend par là la volonté de produire au maximum et à coûts réduits par tous les moyens), dont on ne sait plus s’il faut l’attribuer à un libéralisme ravageur (par les effets d’une concentration ininterrompue, nationale puis mondiale, des exploitations et des firmes agroalimentaires) ou à une planification hors du temps de l’Union européenne. En tout cas, la pente est toujours celle qui mène à de tristes lendemains. Une des rares bonnes politiques que l’Union avait adoptées en matière agricole, celle des jachères et des fleurs des champs, a été récemment suspendue. Son principe était simple : en contrepartie d’une indemnisation, les agriculteurs devaient laisser une partie de leurs terres en jachère et plantées de fleurs des champs pour faciliter la pollinisation. La décision des institutions européennes de mettre un terme à cette politique tient à la pénurie de terres cultivables, en raison de l’artificialisation des sols (recouvrement du sol par du bâti, des routes, des voies ferrées, des parkings, NDLR) qui a concerné 600 000 hectares en dix ans en France, selon Eurostat. Notre pays porte le bonnet d’âne de l’Europe en la matière. Et, au fur et à mesure que les terres agricoles disparaissent sous le béton et le macadam, il faut remettre en culture des terres en friches de moins bonne qualité, en commençant par les jachères…

Récemment, un reportage sidérant de l’émission « Cash Investigation » sur France 2 soutenait, de façon rigoureuse autant qu’on puisse en juger, que de nombreux producteurs des meilleurs vins de France empoisonnaient sans vergogne leurs vignes, leurs voisins et par conséquent leurs clients, pour éradiquer insectes et parasites. On ne sache pas qu’un procès ait été intenté aux auteurs du reportage, ni d’ailleurs aux aigrefins qui, d’après ce documentaire, utilisent et exportent en Europe de l’Est des poisons interdits depuis des années voire des décennies en France.

Certes, l’Europe semble avoir écarté les importations de viande aux hormones du Canada et de poulets javellisés du Brésil. Mais à l’exception de ce sursaut, peu de choses bougent sous le soleil. Au pays de la gastronomie, manger sain est devenu kafkaïen.

Le plan de bataille annoncé par Nicolas Hulot pour le mois de juillet est bienvenu. On ne peut qu’espérer qu’il soit à la hauteur du défi, a fortiori en France, pays européen où la biodiversité a le plus régressé en un demi-siècle.

Il est urgent de considérer les voies et les moyens d’éduquer à ces périls les jeunes générations, mais aussi tous les décideurs qui, sans attendre, peuvent contribuer à stopper net la catastrophe en cours ; jusque-là, ces derniers se moquent apparemment comme d’une guigne de ces problématiques.

Espérons que deux prises de conscience - il est nécessaire de manger plus sainement ; il est vital de cantonner les villes et leurs activités à leurs périmètres - entraînent des contreparties positives sur la vie animale et sauvage. Plus l’élevage sortira des usines à viande pour revenir aux prairies si abondantes dans notre pays, plus la vie sauvage, notamment le couple inséparable insectes-oiseaux sera préservé. Si la France devenait exemplaire après avoir été le mauvais élève, elle n’en serait que plus crédible pour porter la bonne parole à l’étranger.

À l’aune de ce sujet vital pour la France, l’Europe et le monde, les préoccupations constitutionnelles, financières et sociales qui accaparent l’attention publique sont très relatives.■

PIERRE VERMEREN


samedi 19 mai 2018

La fin de la civilisation romaine




Une bactérie aura suffi :


sciences

La soif d’argent des Romains se lit dans les glaces du Groenland

Des analyses fines de carottes de glace permettent de retracer l’activité minière en Europe dans l’Antiquité.

JEAN-LUC NOTHIAS Grâce à des carottes prélevées au Groenland, les chercheurs peuvent avoir accès à ce qui se passait dans l’atmosphère de 1235 av. J.-C. à l’an 1257.JIM WEST/REPORT DIGITAL-REA

GLACIOLOGIE La guerre froide a eu de drôles de conséquences. Les États-Unis avaient créé à la fin des années 1950 une base souterraine, le camp Mercury, à une trentaine de mètres de profondeur, à l’extrême nord-ouest du Groenland. Ils avaient creusé une vingtaine de tunnels et le projet à terme était que cette base accueille des centaines de missiles balistiques pouvant frapper l’URSS. Le camp fut officiellement fermé en 1967. Année au cours de laquelle un scientifique danois demanda à analyser des carottes de glace issues des travaux du camp.

Ce fut la première étude qui permit de reconstituer les climats passés. Il a initié la paléoclimatologie glaciaire, et bien d’autres études ont été menées et bien d’autres carottages réalisés, au Groenland, en Antarctique, dans des glaciers alpins, andins… Plus de 800 000 années de climat ont ainsi pu être reconstituées dans leurs grandes lignes, avec des fo­rages à 3,6 km de profondeur en Antarctique. Mais les techniques, aussi bien de carottage que d’analyse des microbulles d’air et des impuretés contenues dans la glace, se sont bien raffinées.

Elles sont tellement sensibles que dans des carottes de 423 m prélevées au Groenland, les chercheurs peuvent avoir accès à ce qui se passait dans l’atmosphère de 1235 av. J.-C. à l’an 1257, avec une datation très précise à un an près. Une équipe internationale a ainsi pu chercher les traces de plomb issues de l’activité minière humaine en Europe du Sud, particulièrement des mines de la péninsule Ibérique depuis - 1100 jusqu’à 800 (travaux publiés dans les Comptes rendus de l’académie américaine des sciences, PNAS). Et le niveau de cette pollution, telle que relevée dans les ­glaces, reflète le niveau de l’activité humaine en fonction des épidémies, des guerres et de l’expansion des empires durant la fin de l’âge de bronze et l’Antiquité.

La nouvelle technique de lecture en continu des carottes de glace employée par Joseph McConnell et ses collègues, mesurant pour chaque année de couche pas moins d’une trentaine d’éléments en plus du plomb (sodium, magnésium, sulfures, etc.) a produit une chronologie incroyablement précise couvrant une durée de 1 900 ans. Les premières études de la pollution au plomb dans les neiges glacées du Groenland, menées par le Français Claude Boutron, avaient conclu que l’économie romaine avait été au mieux pendant la période agitée de la République et avait stagné sous l’Empire. Cette étude avait été réalisée non en continu mais par des mesures ponctuelles dans la chronologie. La dernière étude en date montre le contraire.

Quand la civilisation phénicienne prend son essor, les mines d’argent et de plomb, surtout celles d’Espagne, connaissent une augmentation de leur activité. L’homme sait extraire l’argent et le plomb du minerai appelé galène depuis 3000 ans avant J.-C. en le chauffant à plus de 1 000 degrés pendant une dizaine d’heures dans des fours en argile hémisphériques. On distingue donc très bien des pics d’émissions de fumées contenant du plomb qui sont emportées jusqu’au Groenland, comme le confirment des modèles de circulation atmosphérique.

Les Phéniciens avaient créé des comptoirs, comme Carthage, près de sites miniers argentifères. Ce sont eux qui ont développé la monnaie en argent pour le commerce, les fameux deniers, des pièces d’argent pesant de 3 à 4 grammes selon les époques.

Jusqu’aux environs de 200 av. J.-C., la production minière augmente avec des baisses ponctuelles liées aux guerres puniques (Carthage contre Rome). Puis vient la succession de guerres civiles affaiblissant la République romaine, en commençant par la guerre sertorienne, Ibères et Romains contre Romains. La baisse de production est importante. Il faudra attendre la pacification de la Gaule et de l’Espagne (50 av. J.-C.) pour que la pax romana (- 30 à 180) apportée par l’Empire permette une exploitation minière élevée. La pollution par le plomb au cours du Ier siècle de notre ère est six fois plus élevée qu’au cours du XIe siècle avant Jésus-Christ. Puis la production baisse beaucoup, ce que les chercheurs attribuent à deux grandes épidémies de peste, celle d’Antonine (entre 165 et 190 sous Marc-Aurèle et Commode) qui signe la fin de l’âge d’or des Antonins, et le début de la crise de l’Empire. Puis vint l’épidémie, sans doute de variole, qui décima les populations entre 250 et 270, épidémie dite de Cyprien. C’est elle qui aura finalement eu raison de la civilisation romaine. Les mines romaines ne retrouvèrent jamais leurs niveaux antérieurs. Il faudra attendre le Xe siècle pour retrouver des niveaux de plomb équivalents dans les glaces du Groenland, donc un niveau supérieur d’exploitation de mines un peu partout en Europe. La « pollution » au plomb des époques antiques, à leur niveau le plus élevé, est tout de même de 50 fois inférieure à ce qu’elle était en 1900.

Des prêches en latin




Par Céline Pina :

Le contexte est souvent le même. Après un attentat meurtrier commis sur notre sol et revendiqué par l'État Islamique, de plus en plus de personnes osent poser franchement la question de la lutte contre l'islamisme radical. Elles font clairement le lien entre la violence jihadiste, les pulsions séparatistes qui traversent notre société, et la propagande politique et religieuse de la nébuleuse islamiste, au premier rang de laquelle on retrouve frères musulmans et salafistes. Mais côté présidentiel, rares sont ceux qui osent une dissonance et opposent autre chose qu'un pas de côté. C'est ce qui est arrivé à Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du RAID et député LREM. À la question que pose Virginie Calmels, sur l'interdiction des prêches en arabe, il ironise en y opposant ceux en latin. La volonté d'éviter que soit posée la question de l'islamisme et de la nature des prêches délivrés dans certaines mosquées conduit ainsi à des amalgames douteux. D'abord avec les musulmans, comme si les islamistes étaient considérés comme leurs représentants ; ensuite avec les catholiques, réduits au rôle d'épouvantail de substitution, sur le mode «Vous voyez bien que je suis laïque, je ne rate pas les cathos».

Comme il arrive parfois à des personnes intelligentes et compétentes sur d'autres sujets, de se montrer curieusement empruntées et définitives quand elles n'ont pas l'air de penser réellement ce qu'elles disent, on a le sentiment que des éléments de langage leur ont été fournis pour éviter les vagues. Lesquels se résumeraient en deux phrases: «évitez à tout prix le mot islamisme» et «si on insiste, bottez en touche». Mais c'est comme vouloir ignorer l'éléphant au milieu du magasin de porcelaine. À la fin, vous n'avez plus que de la vaisselle cassée, un magasin détruit et l'éléphant est toujours là… Et comme pour détourner un tir, il faut trouver une nouvelle cible, en plus vous faites en général des dégâts collatéraux non négligeables. C'est ainsi que pour éviter le sujet de l'islamisme, LREM s'en prend régulièrement à l'Église catholique. Même si «mais en même temps» Macron fait une opération séduction aux Bernardins.

Diluer le constat pour éviter la confrontation avec le réel

Nous avions eu droit à Christophe Castaner, né en 1966, expliquant que sa mère portait le «voile catholique» dans les années 70, ce qui a de quoi laisser perplexe: la mantille n'étant pas l'accessoire le plus répandu à l'époque et la cornette étant réservée aux religieuses, on se demande dans quel espace-temps vivait le petit Castaner. Après l'attaque terroriste du 12 mai, c'est Jean-Michel Fauvergue qui évoque les prêches en latin, comme évoqué plus haut.

Même pirouette face à la tribune des 300, pointant le développement d'un nouvel antisémitisme arabo-musulman. En charriant les pires préjugés et dans sa version radicale, cet antisémitisme rend la vie impossible aux Juifs ; et aujourd'hui en France, on tue des Juifs parce qu'ils sont Juifs.

Depuis le concile de Tours en 801, à la messe, les homélies se font en français.

Le Monde a aussitôt publié une contre-tribune appelant à fondre ce diagnostic, même si les signataires ne le remettaient pas directement en cause, dans une lutte contre tous les extrémismes. En soi, on ne peut être que d'accord, sauf que ce type de posture, derrière un habillage faussement humaniste, dilue tellement le constat qu'il ne permet plus l'action. Démultiplier les cibles, c'est ne plus en viser une seule. Un peu comme ces professions de foi de congrès de partis qui appellent à l'avènement de la justice sociale, à la paix universelle et à la disparition de la faim dans le monde. Cela ne coûte rien de le dire, permet de se donner bonne conscience et de repousser la confrontation avec les problèmes réels aux calendes grecques. Étendre les responsabilités et multiplier les amalgames afin d'entretenir la confusion, c'est déjà se dégager de ses obligations.

À amalgamer, dans un contexte de violence terroriste, le catholicisme et l'islamisme, les élus de LREM opèrent un glissement dangereux et surtout injustifié. Il se trouve que depuis le concile de Tours en 801, les homélies, donc les prêches, et non les messes, se font en français. L'Église n'a pas attendu Vatican II pour cela. Si Benoît XVI a rétabli en 2007 la possibilité de dire la messe en latin, l'homélie est toujours en français. De plus, la messe en latin ne concerne que 230 paroisses sur les 13 000 lieux de culte catholiques existant. On est donc là dans l'ultra-minoritaire. Mais surtout, comme le rappelle Virginie Calmels, au-delà de la langue dans laquelle on s'exprime, c'est ce que l'on dit qui compte. Aux dernières nouvelles, l'appel au meurtre des mécréants et des apostats ne retentit pas au sein de l'Église, y compris chez ceux qui préfèrent la messe en latin. Dans l'Église catholique, s'il existe bien une mouvance traditionaliste, celle-ci n'est ni meurtrière, ni terroriste.

On ne peut pas en dire autant pour le culte musulman. Il est impossible de savoir combien de mosquées, ni lesquelles, sont dans l'escarcelle des frères musulmans, des salafistes et consorts… Pourtant, les élus locaux savent pertinemment bien que l'histoire des mosquées construites grâce aux dons des fidèles sur les marchés est une vaste plaisanterie. Qatar, Arabie saoudite, ligue islamiste ou subventionnement via l'islam consulaire, l'argent qui permet la multiplication de ces édifices est lié à des intérêts nationaux, politiques et religieux qui n'ont rien à voir avec notre pays. Les mosquées servent à garder la main sur les communautés d'origine, et constituent un maillage intéressant pour qui nourrit un projet politique. Il n'y a qu'à voir certains meetings politiques qui s'y déroulent pendant que les gouvernements successifs ferment les yeux (alors que l'article 26 de la loi de 1905 l'interdit explicitement), pour comprendre que les autorités ont renoncé à faire appliquer la loi dans ces enceintes et dans leurs périmètres... Je me souviens notamment d'un meeting du directeur du CCIF dans la mosquée de Tremblay-en-France en août 2016, et de nombre de conférences faites par les frères Ramadan au sein de nombre de moquées dont la dimension politique était aussi forte que le refus d'en prendre acte des pouvoirs publics. Dans la mesure où l'Islam est travaillé par des tensions très fortes et que certaines interprétations ont des connotations obscurantistes et/ou violentes, il serait utile de savoir dans quel type de mosquée on est susceptible de mettre les pieds quand on est croyant.

Taper sur les cathos, un exercice sans risque

On peut comprendre à ce titre le légitime agacement des catholiques de se voir pointés du doigt, en contre-exemple, dès qu'un acteur public dénonce l'emprise islamiste. La première différence est essentielle: qui tue, et au nom de quel dieu? Pour l'instant, nulle trace de massacre commis en France par des chrétiens radicalisés tuant un maximum de personne aux cris de «plus près de toi, mon Dieu». À l'inverse, «Allahou Akbar» s'écrit régulièrement en lettres de sang dans nos villes. Là où les islamistes s'en prennent aux bases de notre contrat social, refus de l'égalité femmes/hommes, refus de la liberté d'expression, combat contre la laïcité, obscurantisme, la très grande majorité des chrétiens a accepté la République, ne mène pas un combat d'arrière-garde et a souvent donné sa vie pour en défendre les valeurs. Et cela, un homme aussi averti que Jean-Michel Fauvergue le sait, alors pourquoi utilise-t-il ce piteux procédé?

Faire l'impasse sur le déni

Jean-Michel Fauvergue, s'il acceptait de regarder en face le lien entre passage à l'acte violent et propagande politico-religieuse, serait contraint d'exposer l'aveuglement et l'inaction de son propre gouvernement. S'il fait vraiment le lien entre les attentats et le prosélytisme islamiste et s'il le verbalise, c'est le déni de son propre gouvernement qu'il souligne... Or ce refus de prendre la mesure de la menace n'est pas forcément de la lâcheté, il parle d'une forme d'impuissance du politique: son incapacité à donner du sens, à transmettre, à incarner une identité collective et nationale. L'insécurité culturelle des Français fait plus peur aux gouvernements successifs que le terrorisme. Voilà pourquoi ce gouvernement est souvent bien plus agressif envers les laïques qu'envers les islamistes.

Voilà pourquoi il surinvestit le curatif (lutte contre le terrorisme: police, justice...) parce que le préventif demande un véritable diagnostic, lequel révélerait l'ampleur des fragilités et des divisions de notre société. Et face à ce besoin de faire peuple ensemble, beaucoup de nos politiques, y compris au plus haut niveau, n'ont rien à dire. Rappeler à une société qui doute d'elle-même, de ses institutions et de ses représentants, qu'elle fut un grand peuple, qui sut se battre et résister au nom de l'égalité, de la liberté et la fraternité. Qui fut parfois terrible, mais qui a voulu croire que tous les hommes sont égaux en droit à raison de leur commune dignité. Dans un monde où les plus mal intentionnés veulent traduire toute différence en hiérarchie, cela n'est pas rien. C'est même une partie de la définition de Renan de la Nation: «Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent, avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore…»

Combattre l'idéologie totalitaire qu'est l'islamisme, ce n'est pas jeter l'opprobre sur toutes les religions.

Face au terrorisme, il est possible de tenir un discours sécuritaire et empathique, on est dans la gestion de l'urgence. Face à l'insécurité culturelle que provoque ce terrorisme, mais également face à un mode de vie dans certains quartiers qui s'en prennent à la civilisation occidentale, à nos libertés et à ce que nous sommes, la réponse ne peut se trouver que dans la revitalisation du lien politique, dans le fait de se redéfinir en tant que peuple.

Mais pour dire clairement ce qui est la base de notre contrat social, assumer que tout n'est pas négociable et poser des limites claires à ceux qui ne veulent pas s'intégrer, il faut un lien fort avec sa tradition politique, une connaissance presque charnelle de son pays, une capacité à incarner ce qui nous dépasse et ce qui nous construit comme corps politique. Et dans cette période où le politique ne se soucie que du rendement immédiat de son action, on est mal à l'aise avec ces choses-là. Le tragique n'a rien à voir avec la statistique, mener des hommes n'est pas gouverner des nombres, conduire une nation n'est pas réussir une levée de fonds dans la start-up France. Mais surtout, combattre l'idéologie totalitaire qu'est l'islamisme, ce n'est pas jeter l'opprobre sur toutes les religions. Comme les musulmans ne méritent pas d'être assimilés aux islamistes, les catholiques ne méritent pas d'être utilisés comme un repoussoir, eux qui ont montré qu'ils pouvaient trouver leur place et toute leur place dans un pays laïque.